La cour des grands by Michel Déon

La cour des grands by Michel Déon

Auteur:Michel Déon [Déon, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2016-06-15T04:00:00+00:00


De cette chose impalpable, peut-être inexistante qu'est le passé, que gardons-nous ? À peine quelques mots dont nous ne savons plus s'ils ont été réellement prononcés ou si c'est nous qui les inventons dans le naïf désir de nous justifier, de croire que nous avons vraiment existé tel jour, telle heure cruciale dont le souvenir nous poursuit. Seules des images – parfois même reliées entre elles comme un film dont un censeur aurait coupé les meilleurs ou les pires passages, ôtant toute logique à leur enchaînement –, seules des images surnagent et permettent de reconstituer un épisode du passé dont nous sommes assurés qu'il a été un carrefour fatal. Là, tout s'est décidé. Un pas à gauche au lieu d'un pas à droite, une minute de retard, et toute une vie bascule dans l'inconnu.

Pourquoi Arthur, de ce samedi matin de juillet à New York, se rappelle-t-il d'abord sa longue marche dans la ville, de Rector Street jusqu'à la 72e Rue, dans la fournaise de Broadway, puis de la 5e Avenue, les trottoirs brûlants, les feux de signalisation qui cassent son pas, le couple égaré qui demande son chemin en une langue qu'il pense être du lituanien, le chien jaune efflanqué qui le suit depuis le Stock Exchange et le quitte Times Square, une patineuse à roulettes en short et débardeur bleu, tournant comme une folle autour de Rockefeller Plaza, jolie, saine, une peau de pain brûlé, les cheveux décolorés noués par un catogan. Après, il y a un hiatus comme si, magiquement, Arthur est transporté, par ce que les Italiens appellent « ministero angelico », de la patineuse de Rockefeller Plaza à la porte vitrée du Brasilia qu'un portier maintient ouverte pour qu'il reçoive de plein fouet le regard anxieux d'Augusta assise à une table face à l'entrée, devant deux hommes qui tournent le dos. L'un découvre un début de calvitie comme une tonsure ecclésiastique : Getulio en voie de devenir chauve. L'autre, au contraire, présente une nuque frisée, une chevelure corbeau plaquée sur les tempes par une épaisse couche de brillantine : le Brésilien affairiste, objet de cette rencontre. Ces deux chevelures disparates sont accessoires dans le film qui a déjà commencé et dont le début sera peu à peu deviné. Le son est coupé. Il n'y a plus sur l'écran que le regard bleu d'Augusta dans une succession de plans grossissants jusqu'à éliminer le décor clinquant du restaurant et même l'hôtesse en costume de Bahia, qui, avec une gentillesse dépourvue d'ambiguïté, prend Arthur par la main pour le guider, dans le dédale des tables occupées, jusqu'à Getulio qui se lève et, après qu'Augusta a tendu sa joue au Français, présente l'un à l'autre Luis de Souza et Arthur Morgan. Celui-ci n'a encore aucune idée de ce qu'on lui demandera, il sait seulement qu'il court un risque à cause d'Augusta, de ses bras nus, de la jolie robe en surah orange qui découvre les épaules et la gorge, de la musicalité des voix brésiliennes autour de lui : la Bahianaise, le maître d'hôtel, un Carioca, le sommelier, un Pauliste.



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