La Billebaude by Vincenot Henri

La Billebaude by Vincenot Henri

Auteur:Vincenot, Henri [Henri, Vincenot,]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: La Billebaude, Roman


Et ces lettres cachées dans des colis de victuailles me mettaient l’imagination en chaleur : j’étais un prisonnier, j’étais Vercingétorix dans Mamertine, j’étais le Masque de fer à la Bastille, j’étais Monte-Cristo au château d’If, et c’était merveilleux.

C’est ainsi que j’appris des choses graves dans le courant de l’hiver, la grand-mère Daudiche était malade, ce qui était dans l’ordre des choses, elle avait passé quatre-vingt-dix ans et la maladie n’est pas la mort, et enfin par comparaison avec les ancêtres dont on me parlait sans cesse, quatre-vingt-dix ans me semblait être un âge encore bien tendre pour mourir. La Nannette la soignait avec des infusions, des décoctions et de l’intrait de pervenche, cette fameuse Vinca major qui luttait si efficacement contre les ramollissements du cerveau.

J’avais donc confiance. Du moment que la mémère Nannette s’en occupait, la mémère Daudiche avait encore de beaux jours devant elle.

Mais un jour, hélas, ma grand-mère m’apprit aussi que la petite Kiaire était malade. C’était plus grave. Et ce n’était pas une indigestion ! Non. Elle avait tout à fait perdu l’appétit, maigrissait, toussait. J’avais vu plusieurs grandes filles perdre l’appétit, maigrir, tousser et puis mourir : c’était un rhume mal soigné qui leur était « retombé sur la poitrine ». On me disait qu’on lui faisait boire de « l’eau de clou », c’est-à-dire de l’eau dans laquelle on laissait rouiller une poignée de clous. On m’affirmait aussi qu’on lui faisait manger des escargots et des limaces crus et qu’elle faisait de la chaise longue.

Tout cela était très mauvais signe, je le savais bien. La chaise longue, les limaces crues, « l’eau de clou » étaient d’obscurs présages qui ne trompaient pas l’arrière-petit-fils de la guérisseuse Nannette.

Sans plus tarder, j’écrivis à la petite Kiaire une lettre où je lui décrivais par le menu tous les moulins que nous ferions, aux vacances, dans le ruisseau. Je lui disais aussi que je priais pour elle. Je remis ma lettre au père censeur, comme il était réglementaire de le faire. Il me fit appeler et m’informa que ma lettre était censurée, car la personne à qui elle était destinée ne figurait pas sur la liste donnée par mes parents.

— Qui est cette petite Kiaire ? me demanda-t-il.

— C’est une jeune fille, mon père.

— Une parente sans doute ?

— Non, mon père.

— Alors une amie de vos parents ?

— Oui, mon père.

— Quel âge a-t-elle ?

— Dix-huit ans.

— Elle a donc quatre ans de plus que vous.

— Oui, mon père presque cinq ! Il réfléchit un moment, puis :

— Si nous laissons passer cette lettre, notre responsabilité est gravement engagée, vous le comprenez, mon fils ?

— Oui, mon père.

— C’est pourquoi nous la retiendrons, jusqu’à ce que vos parents nous autorisent à la faire parvenir à sa destinataire.

— Ce sera peut-être trop tard, mon père, dis-je, la voix défaillante, elle est très malade !

— En êtes-vous si sûr ?

— Oh ! oui, mon père, elle va bientôt mourir.

— Nous allons donc prier pour elle tous les deux, mon fils, si vous le voulez bien.



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