Kalpa Impérial by Angélica Gorodischer

Kalpa Impérial by Angélica Gorodischer

Auteur:Angélica Gorodischer [Gorodischer, Angélica]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Science-Fiction
ISBN: 9782370490414
Publié: 2017-04-26T22:00:00+00:00


Et les rues vides

Le narrateur dit : L’Empereur ordonna que soit fondée une ville. Il y avait d’innombrables villes dans l’Empire : des villes sacrées, des villes industrielles, des villes guerrières, des villes interdites, sages, monstrueuses, maritimes, en ruine, cachées, licencieuses, vigoureuses, oubliées, naissantes, maudites, paisibles et dangereuses. Mais l’Empereur, qui était le quatrième de la dynastie des Kiautonor, était un stentor lascif. En ces temps-là il avait acheté, dans un village à la frontière des terres du sud, et d’aucuns allèrent jusqu’à dire dans un bourg édifié sur une île en plein cœur du sud, chose plutôt improbable pour des raisons que nul n’ignore, une nouvelle concubine. Une assistante troisième rang de la femme de chambre raconta, avant que pour cause d’infidélité on lui arrache les dents et lui coupe la langue et qu’on la jette pour mendier dans les rues du port, que c’était une très jeune fille, très sombre et très frêle, et qu’elle était enfermée dans une pièce sans fenêtres ni lampes à l’intérieur d’un pavillon hexagonal dans le Jardin des Trois Caudillos Noirs, nourrie exclusivement de viande de joca sauvage et de tiges de rafilia macérées pour qu’elle reste toujours éveillée et ardente. Ils la crurent, parce que personne ne l’avait vue bien que tous l’eussent entendue crier nuit après nuit et parfois aussi le jour, ce qui confirmait la rumeur qui était déjà une légende sur la démesure du membre de l’Empereur, et une autre rumeur qui n’arriva jamais à être une légende sur la petitesse presque monstrueuse de la fille. Et l’Empereur, le quatrième de la dynastie des Kiautonor, voulut un jour laisser dans l’Empire une trace monumentale de cette acquisition qui lui procurait tant de plaisir, et c’est pour cela qu’il ordonna que soit fondée une ville. Il convoqua par une matinée d’automne l’un de ses ministres, le premier venu, car il méprisait le protocole et les hiérarchies, lui donna l’ordre, parla un peu de la beauté, pas beaucoup car il n’y connaissait pas grand-chose, fit référence davantage avec des gestes qu’avec des mots à la monumentalité et à la magnificence, congédia le fonctionnaire et oublia quasiment aussitôt la ville qui n’existait pas encore.

Le fonctionnaire, noble, efficace, veuf, incrédule et affaibli à cause des crises de la maladie d’Ohmaz, était le Ministre des Cultes Aériens, également en charge temporairement des Rites de la Flamme depuis la mort sans doute volontaire de la Prêtresse. Il s’appelait Senoeb’Diaül et n’y entendait rien aux villes. De sorte qu’il réunit dans son bureau un architecte, un ingénieur, un sculpteur, un géographe, un peintre, un astronome, un mathématicien, un comptable, un général et un prêtre, et qu’il leur confia cette tâche : à l’arrivée de l’été, la ville devait être construite, resplendissante, admirable et habitée.

— Nous ne détaillerons pas, dit le narrateur, les travaux préparatoires, emberlificotés et dangereux qu’entraînèrent tous les projets qui commencèrent à se mettre en place, ni la lecture des rapports qui valurent au noble Senoeb’Diaül une exacerbation de sa maladie avec des crises de plus en plus longues et de plus en plus fréquentes.



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