Juste après la vague (Sueurs froides) (French Edition) by Sandrine Collette

Juste après la vague (Sueurs froides) (French Edition) by Sandrine Collette

Auteur:Sandrine Collette [Collette, Sandrine]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions de l'épée
Publié: 2018-01-18T05:00:00+00:00


Seuls Liam et le père ont eu la force de remonter le corps de la bête sur la rive, une bête de plus de deux mètres de long, c’est idiot mais Pata n’a pas pu s’empêcher de calculer, la taille d’un lit à peu près, voilà, deux mètres de force et de colère. La mère et les petites pleurent sans retenue en les regardant hisser la masse grise transpercée de coups de couteau, le sang coule encore. Veulent pas s’approcher. Le père sanglote en ouvrant le ventre de l’animal, le vide, rejetant les entrailles à la mer. Il tranche la tête avec précaution, comme si les dents acérées pouvaient encore lui arracher un bras. Saloperie… Liam se tient à genoux près de lui, ses grands yeux pleins de larmes silencieuses. Les mains recourbées sur la peau luisante – s’il pouvait l’arracher lambeau après lambeau, si la bête vivait encore, si elle sentait la douleur de la façon qu’il la perçoit lui, avec cette fulgurance dans le cœur, un coup de poignard, un étranglement. Pata, à côté, charcute et découpe, dépèce, dépiaute, un peu plus que nécessaire, c’est sûr, la colère, le désespoir. Liam acquiesce.

— On va la bouffer tout entière, cette saleté.

Il tait le dégoût, l’odeur écœurante, les chairs visqueuses qu’il hésite à toucher. Le père fait un signe vers le feu et il embroche des morceaux sur les tiges de bois, les met à cuire. Pas faim. Et pourtant. Malgré le chagrin, malgré le choc qui les tient tous muets, ils s’approchent quand l’air s’emplit du parfum grillé du poisson, cela fait trois jours qu’ils mangent des miettes de galettes et de pommes de terre, quelques mûres et du vide, ils se détestent jusque dans leur regard rivé au feu, leur ventre faible et affamé, la salive au bord de leurs lèvres. Pata continue à trancher, ils laisseront cuire le surplus pendant la nuit, l’emporteront le lendemain, pour que cela ait servi à quelque chose – leur permettre d’accoster, leur permettre de manger, les sauver enfin. Ses mains tremblent sur la lame du couteau.

Ils n’ont pas retrouvé le corps de Mattéo. Peut-être à la dérive, peut-être vingt pieds sous l’eau. Le père ne sait pas. Il a mis les autres à l’abri sur l’île, ceinturant la mère hurlante, l’empêchant de plonger, son murmure à son oreille pour la convaincre, pour que les petiotes n’entendent pas, Il est mort, Madie, il est mort, il faut s’occuper d’elles maintenant, tu m’entends ? Ça ne le ramènera pas que tu sautes. Et elle, rugissant d’impuissance, une souffrance plus grande que le ciel ouvert quand il pleut, ses bras tendus droit devant. Il l’a calmée comme un petit enfant. A pleuré avec elle lorsqu’elle a dit :

— Encore un. Encore un…

Pata s’occupe pour ne pas penser. Le feu, la barque à demi renversée sur la rive en guise d’abri pour la nuit, l’image de la bête flottant à la surface de l’eau, le dépeçage. Il va d’un gamin à l’autre avec un mot tendre, un sourire, une caresse.



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