Joyeux noël by Alexandre Jardin

Joyeux noël by Alexandre Jardin

Auteur:Alexandre Jardin
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Bernard Grasset
Publié: 2012-04-14T16:00:00+00:00


Tout commence

A bord de la navette, les autres Diskredapl arrivèrent sans dommage dans le port assailli d’obscurité. On eût dit la même nuit bretonne et pleine de vent depuis des siècles. Les décorations offertes à l’île par les Impensable n’avaient pas été allumées ; mais on les devinait au son, innombrables. Le vent rauque les faisait tinter. A l’abri de ses volets, Keltoï veillait, tout comme le père Kersauzon. Ce qu’ils avaient vu l’un et l’autre les inquiétait. L’ouragan fermait la marche, derrière les brumes nocturnes du Raz-de-Locmaria qui semblaient une annulation du monde. Le gros œil du phare d’Ar-Gwall ne parvenait pas à percer cette ouate. Aucun feu au fond de la nuit.

Sur le quai livré aux rafales, fidèles à leur coutume, certains de nos turlupins ôtèrent leurs chaussures pour enfiler des sandales, malgré la neige. Manière de rappeler leur appartenance à un clan rebelle. Marie-Anne et Marie-Ange portaient des cadeaux cachés sous des tissus, que les petits apercevaient bien, tout en feignant de ne pas les remarquer. La croyance au Père Noël ne tient-elle pas du rituel d’apprentissage de la cécité en famille ?

Tous passèrent devant l’ombre de la grande statue de Népomucène, coulée dans le même acier que celui du phare d’Ar-Gwall. Son épitaphe orgueilleuse claquait sur le piédestal : « JE SUIS IMPENSABLE ».

Au bout du port, dans la maison de Gwen, très frottée, la voix de Félicien retentissait du fond du gosier du perroquet : « A table ! Tout le monde passe à table ! » La vieille Gwen et Norma entendirent depuis le grenier cette voix d’outre-tombe. Gwen songea alors qu’en argot cette expression – passer à table – signifie passer aux aveux, et cette exhortation de Félicien lui arracha un sourire.

Il était tard déjà. La soirée s’effilochait. Le bistrot de Maëlle était fermé. Nulle part où être gai. La nuit était trop avancée pour tirer un feu d’artifice ou envisager une conquête improbable. Ne restait que la possibilité de forniquer légalement – pour ceux qui disposaient d’une moitié motivée. De sa main droite à trois doigts, le vieux Keltoï ferma ses volets mités par le sel. Les Diskredapl filèrent prendre leurs quartiers à l’hôtel d’Ar-Gwall, non loin du bourg. Les dix chambres du premier étage avaient été réservées pour les fêtes. En chemin, ils aperçurent l’ombre massive du monument érigé à la gloire des îliens qui avaient rallié de Gaulle au lendemain du 18 juin 1940. Un bloc de mémoire. On ne pipa mot. Avec les pièces rapportées et sa descendance nombreuse, Gwen ne pouvait pas loger tout son monde sous son toit. L’hôtel d’Ar-Gwall, l’un des derniers établissements avant l’Amérique, offrait assez de bons lits pour que sa tribu se tassât confortablement.

Les Diskredapl se couchèrent vite, sans crainte pour le clan : aucune trace de Norma. La vérité leur sembla être restée à terre. La Saint-Sylvestre des Impensable échapperait à la fille aînée d’Hippolyte. Le lendemain soir, tous pourraient se déguiser et s’amuser, comme chaque année, à ne plus être eux-mêmes.



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