Jours de colère by Sylvie Germain

Jours de colère by Sylvie Germain

Auteur:Sylvie Germain [Germain, Sylvie]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2-07-071655-4
Éditeur: Gallimard
Publié: 1989-11-23T16:00:00+00:00


COLÈRE ET SOLITUDES

LE BLEU DES LOINTAINS

Ce Juge, – Judex et Rex tremendae majestatis, qui donc en avait vraiment souci ? Ce Juge dont on avait chanté la très sainte et juste colère autour du cercueil de Vincent Corvol, qui en gardait encore la crainte ? Sitôt le Requiem achevé la pensée du Juge et la terreur du Jugement s’étaient dissipées dans les brumes ambrées et grises des cierges et de l’encens, – seul le goût de la colère avait continué à brûler dans les poitrines, les bouches, les salives. Saveur amère, puissante, et tellement vivifiante. Le goût de la colère humaine.

Vincent Corvol avait été porté en terre. Son corps était descendu dans le tombeau de ses ancêtres, allégé de son cœur pénitent et mendiant et de sa main d’assassin. Ambroise Mauperthuis avait, la nuit même de son retour à la Ferme-du-Pas, jeté ces deux déchets dans l’auge des cochons. Sans la moindre frayeur à l’égard de ce Juge que Corvol avait invoqué tout au long de sa lettre. D’ailleurs il n’avait guère compris le langage solennel de cette lettre qu’il avait déchiffrée à grand-peine en trébuchant sur chaque mot, suivant maladroitement du doigt la fine écriture resserrée et penchée. Il n’avait appris à lire que lorsqu’il était devenu propriétaire des forêts, pour pouvoir tenir ses livres de comptes et comprendre les avis de ventes de bois, non pour se casser la tête avec des lettres d’une dérisoire grandiloquence. Il lui avait suffi de comprendre que Corvol avait eu l’audace de lui parler de Catherine, avait osé prétendre l’aimer, et, pis encore, s’était aventuré à lui demander de déposer son cœur là où Catherine était enterrée. Une telle prétention était aux yeux de Mauperthuis un défi insensé. Il n’avait pas poursuivi davantage l’effort de compréhension de cette lettre outrageuse. Une seule lecture, aussi poussive que furieuse, lui avait suffi. Il avait déchiré la lettre. Non seulement il ne se sentait aucun devoir envers Corvol mais bien au contraire il se reconnaissait d’infinis droits de vengeance et de malédiction à son encontre.

Claude dut ajourner la décision qu’elle avait si fermement prise le matin des funérailles de quitter au plus vite le Leu-aux-Chênes pour retourner vivre dans la maison de son père. Avant même qu’elle n’ait trouvé le temps de rassembler ses affaires et de préparer ses malles, un nouveau deuil vint la frapper. Un deuil qui la contraria bien plus qu’il ne l’affligea. Marceau était allé en toute hâte répondre au sombre appel que lui avait lancé l’esprit des morts dans l’église Saint-Martin. À son retour il avait passé la nuit debout à la fenêtre de sa chambre. La nuit était claire. Dehors, le magnolia déployait son ample ramure au centre de la cour. Un vent encore tiède berçait très doucement ses longues branches hérissées de larges feuilles laquées, vert et brun, qui brillaient dans la clarté froide des étoiles. Et tout autour de l’arbre sur le sol luisait sa floraison passée comme une ombre laiteuse portée par son branchage. Il n’y avait pas de lune au ciel, rien que des étoiles.



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