Joséphine Jobe, Mendiante 01 by Micheline Dapé

Joséphine Jobe, Mendiante 01 by Micheline Dapé

Auteur:Micheline Dapé [Dapé, Micheline]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman Québécois
Éditeur: AU PIED DE LA LETTRE
Publié: 2012-04-14T03:27:09+00:00


XV

Le visage consterné, le docteur Pierre Chénier déposa sa trousse de médecin sur une chaise. Il ne s’habituait pas à annoncer un décès aux gens et encore moins quand ça touchait les siens de près. Comment le faire sans trop inquiéter Léocadie, qui était exposée au même danger ?

- Notre voisine est décédée, dit-il. Une hémorragie. La jeune femme est morte au bout de son sang. Elle laisse quatre enfants, dont un qui ne marche pas et un autre qui parle à peine. Pauvre petite femme ! Avoir un médecin à deux pas de chez elle et il arrive trop tard. Je n’ai pas pu sauver l’enfant.

- Si ça m’arrivait, Pierre, tu saurais ce qu’il faut faire ?

- Oui, bien sûr. Si notre voisine n’avait pas été seule, elle serait encore en vie. Toi, tu as Joséphine pour me prévenir au moindre malaise.

- Qui va s’occuper des petits orphelins? s’informa Léocadie, les larmes au bord des yeux.

- Je te vois venir, Léocadie Tremblay. Laisse les autres se charger des enfants. C’est d’une famille normale que les petits ont besoin. Ici, comme je suis dérangé à toute heure du jour et de la nuit, tu te retrouverais seule à les élever.

- Quand je pense que ces petits êtres pourraient être les nôtres, ça me tord les tripes.

- Si personne n accepte de s'en charger, il sera toujours temps de changer d’avis.

* * *

Entre chien et loup, à la lumière de la lampe, Joséphine brodait un point de feston à une nappe de toile. Impressionnée par le décès de la voisine, toutes ses pensées étaient concentrées sur les orphelins quand, soudain, un visage lui apparut collé à la vitre noire. Joséphine sursauta. C’était Pierrot qui, le visage écrasé au carreau, tirait la langue.

Le temps que le bouffon entre à la cuisine, Joséphine piqua son aiguille sur la fine toile et démaria son cerceau.

Tous les dimanches, Pierrot s’amenait chez sa sœur, sous prétexte d’une partie de cartes quand, en réalité, il ne recherchait que la présence de Joséphine.

Léocadie se berçait, ses mains délicates ouvertes sur son gros ventre. Elle pensait à la naissance prochaine de son bébé. Dieu quelle avait hâte de tenir son enfant, sa propre chair dans ses bras! Elle ne se lasserait jamais d’admirer son visage.

Tout à coup, une immense flaque d’eau s’échappa de se? entrailles.

- Pierre! s’écria-t-elle, heureuse et craintive à la foi Viens vite. Je suis en train d’accoucher.

Pierre sursauta.

- La perte des eaux est juste un début, un avertissemen

Pierre déposa son livre de médecine sur le guéridon d’acajou, se leva brusquement et se mit à tourner en rond comme s’il avait perdu tout contrôle.

- Attends. Bouge pas. Je vais te conduire à ton lit. Non. tiens, je vais aller chercher papa. Il a assisté des centaines de femmes en couches.

- Non, Pierre. Calme-toi. Je veux pas de ton père. je veux rester seule avec toi.

Devant le docteur, la petite bonne ne dit rien. Son rôle était de se taire. Toutefois, Joséphine ne comprenait pas qu’un médecin, habitué aux accouchements, puisse se trouver dans un tel état de nervosité.



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