Jonas by Jean Grosjean

Jonas by Jean Grosjean

Auteur:Jean Grosjean
La langue: fra
Format: epub
ISBN: EPUB9782072054624-55431
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2012-03-14T16:00:00+00:00


VIII

Jonas marchait par des chemins bourbeux. Il avançait à travers la bruine sans voir l'horizon. Il ne s'apercevait pas qu'il était entré dans l'empire. Il songeait au ciel mais sans bienveillance tant le ciel semblait aveugle.

Jonas avait été poussé, mais justement dans quel pétrin. La belle affaire d'être choisi. Chaque être est choisi, mais Jonas n'était pas heureux de son lot.

Un matin le ciel s'est un peu dégagé. C'était comme si le ciel se souvenait de Jonas à condition que Jonas s'éloigne de sa naissance et trahisse ses rêves.

Oui, Jonas voulait bien trahir si c'était avec le ciel. D'ailleurs avec le ciel, ce qu'on trahit n'est rien.

Quelle enfance ? Les illusions dont on est sorti. Quelle patrie ? Les maisons s'écroulent et sont remplacées par des prétentions.

On abat les forêts pour planter des parcs insipides. On extermine quelques ours de montagne et on surpeuple de chiens les vallées.

Les songes, au lieu d'errer dans le ciel comme des nuages, chacun s'est mis à les fabriquer et à les faire passer sous votre nez ou sur votre tête à grand bruit.

Il n'y avait plus qu'à fuir. En deçà ou au-delà. Jonas n'avait fréquenté que des fugitifs. Jusqu'au jour de la lueur. Alors il avait rechigné, et fui à son tour, et vu que les fuites aussi sont des songes.

Jonas avait compris qu'il n'aimerait que la lumière. Et si la lumière, lasse de nos tapages, se réfugiait à Ninive ou à Nijni-Novgorod, pourquoi ne pas demander asile au tsar de Ninive ou au comité central ?

Mieux valait être parqué avec la lumière du ciel dans les bas-fonds de l'empire que de secouer son âme soûle dans des brouettes tamponneuses.

Jonas gardait secret son cœur, mais depuis qu'il était dans l'empire, il ne pouvait pas ne pas remarquer à travers les bruines comment rougissaient les tiges des jeunes tilleuls qu'il frôlait ou celles des buissons de cornouillers qu'il dépassait comme s'il était, lui, Jonas, une sorte d'avant-printemps.

Il ne comprenait pas le rayonnement de sa maussaderie dont s'irisaient les gouttelettes suspendues aux vieilles herbes. Et le ciel même, tout gris qu'il soit dans la hauteur, s'éclairait dans l'eau des ornières comme la fenêtre d'un éden en aménagement.

Les jours semblaient encore courts sous leur plafond de nuages. Jonas s'est arrêté à l'orée d'une sapinière pour manger les brimborions qu'il traînait dans sa musette et dormir un peu dans son paletot humide.

Le lendemain a paru plus clair. Le vent repoussait les nuées. Le sol se couvrait de perce-neige. Les bouleaux balançaient à bout de brindille leurs chatons.

Un rouge-gorge a arboré le vermillonnement de sa poitrine. Il regardait Jonas de son noir œil rond comme une petite fille curieuse toute prête, si on lui demande un renseignement, à dire : Qui ? et à se sauver parce que son cœur est devenu pur.

Dans un pré un cheval a levé la tête, il a envoyé sa crinière au vent et son hennissement par-dessus la haie. Il a tourné sur lui-même comme s'il hésitait et il s'est cabré comme s'il résistait, puis il a fourni un galop jusqu'à la barrière et il a regardé longuement le passant.



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