Je vous raconterai by Alain Monnier

Je vous raconterai by Alain Monnier

Auteur:Alain Monnier
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion


L’enchaînement de nos idées est souvent mystérieux. Pourquoi dans cette étrange période, où les gens s’acharnaient à bousculer mon humble personne, me suis-je mis à rêver chaque nuit de Paul Maris ? Quel appel mystérieux m’adressait-il ? Je n’étais plus retourné le voir depuis que j’étais entré dans le deuxième cercle de la Roulette, car c’était le trahir que de poursuivre ainsi. C’était cracher sur tous les après-midi qu’il m’avait consacrés, sur tous ses efforts pour m’offrir une vie acceptable.

Ce jour-là, je repris le train pour La Barre Gonesse. Il pleuvait. Les maisons défilaient ternes et mouillées, la banlieue sans cesse recommencée comme un long ruban gris, sans fin, sans âme qui vive dans ces maisons aux fenêtres closes, aux jardinets déserts. Le chemin entre la gare et l’hospice était long. Il fallait prendre un bus qui ne passait jamais, l’attendre sous un abri couvert de tags obscènes. Le bus lui-même, le 565, était vieux, désuet, rebut d’une époque révolue où il avait connu son heure de modernité sur les boulevards de la capitale. Après de multiples détours dans des rues identiques, il s’arrêta devant une bâtisse en pierre qui semblait une ancienne caserne. Après avoir traversé un vaste hall d’entrée et un long couloir à l’odeur singulière, j’arrivai dans le quatrième box de la salle XI. Paul somnolait. Je m’assis à ses côtés et caressai sa main noueuse et rêche. Il ouvrit les yeux et sourit en m’apercevant. Nous nous sommes mis à parler. Toujours il disait qu’il n’avait rien à dire, que ce lieu était pire qu’une prison, car dans une prison on pense à s’échapper, on échafaude des projets pour le jour où l’on sortira… tandis qu’ici, dans ce mouroir, aucune de ces pensées n’avait cours. Alors il voulait que je lui dise ce que je faisais, ce que Coralie devenait, et ma femme, si j’avais des maîtresses, si elles étaient jolies, tout ce qui faisait la vie des hommes d’avant. J’inventais, je mentais avec allégresse, Coralie bien sûr qui va merveilleusement bien, qui a deux enfants très débrouillards, et aussi Loula pour l’occasion surnommée Martine – ne me demandez pas pourquoi ce prénom qui n’avait rien à voir – et le feu de l’amour et du sexe, j’inventais encore et encore, à la seule fin de le divertir et de différer encore la question que j’étais venu lui poser.

On lui amena un bol de café. Dans une heure il me faudrait repartir, la sonnerie chassait les visiteurs à dix-huit heures précises. On aurait pourtant dû choyer et retenir les rares qui franchissaient ces portes, puisqu’ils étaient bien les seuls à pouvoir donner un peu de chaleur aux tristes vieillards qui gisaient sur les lits alignés. Il faut traverser l’hospice de La Barre Gonesse pour savoir ce qu’il en est de vieillir.

Puis finalement, alors qu’il reposait sa tasse sur le rebord de la tablette en Formica, je lui posai la question. D’une voix mal assurée, le regard perdu dans le rideau de séparation. Pourquoi ce jour-là alors



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.