J’AIME PAS LES AUTRES by JACQUES A. BERTRAND

J’AIME PAS LES AUTRES by JACQUES A. BERTRAND

Auteur:JACQUES A. BERTRAND
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Julliard


Finalement, ces événements tragicomiques m’auraient plutôt libéré. Je suis sorti du Moyen ge. J’ai refait une classe de première dans un établissement neuf, ouvert, avec un Principal tout aussi inexistant que le Proviseur du précédent, un Censeur exceptionnellement courtois, un jeune Surveillant Général qui avait à cœur de « comprendre les jeunes » qui, après tout, étaient « des êtres humains à part entière ».

Et mixte. Le lycée. Je suis entré dans une période de vie mondaine intense. Responsable du journal trimestriel, du ciné-club et même des sorties au théâtre. Coresponsable, en réalité. Il y a toujours un autre partout. Un prétendu Corse qui s’appelait Paul Bernard, se promenait les mains bien enfoncées dans les poches de sa blouse, en adoptant une démarche traînante. Il mâchait sans arrêt des gommes à la chlorophylle et adressait aux filles des sourires de séducteur professionnel. Ça marchait, en plus. Décourageant. Heureusement, il est parti à la fin de l’année, je n’ai jamais bien supporté les coresponsabilités. Et pourtant, j’ai longtemps eu besoin d’un haut-parleur, d’un fort en gueule qui répétait à voix haute ce que je disais plus bas. Et qui en recueillait les fruits, la plupart du temps.

La mixité a largement contribué à améliorer ma vision du monde. J’ai trouvé les filles plus intelligentes, plus sages, plus nombreuses. Les garçons, en minorité, se plaçaient toujours au fond de la classe. Ça faisait un peu ghetto, mais on avait son sens de l’honneur, pas question de lécher les bottes des profs, de les écouter les bras croisés en ayant l’air fasciné par leurs propos. Plutôt la mort qu’une place au premier rang.

Un peu snobs, les filles, peut-être. Ou seulement étranges.

Je me suis toujours tenu à l’écart des clans. Je détestais déjà ce que Romain Gary appellerait quelques années plus tard « l’appartenance ». Qu’on me dise : « Vous les jeunes » (ma mère), « Vous les garçons » (les filles) ou « Vous les écrivains » (les critiques) me met en rage. Je ne crois qu’aux individus.

Une seule exception : j’ai horreur de la foule, mais j’adorais les mêlées. La seule manière de solidarité virile jamais ressentie, c’était sur les terrains de rugby. Les types que vous ne supportiez pas, ni avant, ni après le match, vous vous trouviez en osmose avec eux pendant quatre-vingts minutes d’engagement physique et moral total. J’ai aimé ça.

Le lendemain matin, courbatu, fourbu, j’avais deux heures de français. Heureusement, le professeur, natif du Sud-Ouest, assistait à tous les matches.

— Nous allons parler doucement, disait-il à la classe, pour ne pas réveiller Anatole Berthaud. Il s’est battu comme un beau diable hier après-midi et il a marqué un essai contre l’équipe de son ancien lycée, c’était son jour de gloire. En outre, il est un peu poète, il a besoin de rêver.

Le brave homme.



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