Instruments des ténèbres by Huston Nancy

Auteur:Huston, Nancy [Huston, Nancy]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Franco / Canadienne
Éditeur: Jillerone - TAZ
Publié: 1996-03-22T23:00:00+00:00

SONATE DE LA RÉSURRECTION

VII – Les blessures

Barnabé est un jeune homme maintenant, mince sans être malingre, rayonnant de bonté et de bonne humeur. Comme les autres moines de l’ordre, il porte une robe noire et une ceinture de cuir, ainsi qu’un singulier chapeau avec deux pièces de drap appelés « Roberts » en souvenir du fondateur. Depuis qu’il a prononcé ses vœux, le père Thomas a entrepris de lui apprendre la lecture et l’écriture, et un nouvel univers s’est révélé à lui ; dorénavant il n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il peut passer tout un après-midi dans le scriptorium, à déchiffrer et à recopier des textes sacrés. Mais il sort aussi du monastère, quand la prieure lui en donne l’autorisation, pour apporter l’amour du Christ dans les masures les plus démunies du pays, là où les gens souffrent le plus de maladie et de malchance. Il apporte en plus, chaque fois qu’il le peut, le rire.

En ce moment, alors que le soleil d’été se couche, il fait sa dernière visite de la journée. Un homme solitaire, vieillard à trente ans, ratatiné de malheur : ces derniers mois, non seulement la dysenterie a emporté son épouse et ses deux fils, mais, de plus, ses chèvres ont tari, et c’est la catastrophe. Il secoue sa tête grisonnante, se tord les mains, et marmonne dans sa barbe :

— Pour sûr que c’est le Simonnat, là-bas aux Forges de Ronzay, ça fait pas de doute. Il m’a toujours voulu du mal, celui-là, et maintenant ça y est, j’ai dû le regarder de travers une fois au printemps et il se retient plus, il en aura pas fini avant que je sois mort et enterré, ah ! c’est pas possible, c’est pas possible !

Prenant sa tête dans ses mains, l’homme se met à sangloter.

— N’accuse pas ton voisin, mon ami, dit Barnabé d’une voix douce. Il n’y est pour rien dans la maladie de tes chèvres, je te le promets. Ce sont des choses qui arrivent.

Barnabé pousse quelques bêlements de chèvre malade et le paysan, sursautant, le regarde d’un air inquiet.

— Moi qui circule un peu dans le pays, poursuit le jeune moine avec un sourire miséricordieux, j’ai vu cette année pas moins d’une dizaine d’hommes qui avaient le même problème que toi, ce n’est quand même pas le Simonnat qui aurait le bras aussi long ? et une même rancune contre toutes les chèvres du pays ?

Il parodie l’amphigouri d’un sorcier au-dessus de son grimoire, puis balaie cette image de son bras.

— Non, dit-il, posant ses deux mains sur les épaules de l’homme, ne deviens pas amer. Il faut prier Dieu pour la guérison de tes bêtes. Et puis, tu sais bien que s’il a rappelé auprès de Lui tes fils et ton épouse, Il a dû avoir ses raisons. On n’a pas le droit de Lui faire des reproches, mon bonhomme. Je sais bien que c’est dur – mais viens, prions ensemble et tu verras, Dieu t’apportera du réconfort…

Il tombe à genoux, ferme

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