Ils finiront bien par t'avoir by Sébastien Diaz

Ils finiront bien par t'avoir by Sébastien Diaz

Auteur:Sébastien Diaz [Diaz, Sébastien]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier, Littérature québécoise
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2023-03-22T15:35:32+00:00


JANVIER

LA FEMME DE CHAMBRE VENUE D’AILLEURS

Gabriela prit une dernière bouffée de sa vapoteuse en regardant les voitures rouler sur le boulevard Taschereau. Elle avait beau avoir essayé de faire vite pour ne pas attraper son coup de mort, ses orteils lui faisaient déjà mal, gelant dans ses espadrilles bon marché usées par les années. « -38 », indiquait le grand panneau électronique sous l’enseigne du motel. Le genre de matinée où les narines vous collent à chaque inspiration et où chaque pas dans la neige croustillante vous donne l’impression de marcher sur des gâteaux secs.

Gabriela avait beau être au Québec depuis plus de quarante ans, elle ne s’était jamais complètement habituée aux hivers rigoureux. D’abord émerveillée lors de ses premiers jours au pays, elle avait embrassé cette nouvelle saison inconnue en conservant au frigo de la neige et des glaçons trouvés sur le balcon de son appartement. « Como en las pelliculas… » Pareil comme dans les films. Mais rapidement, elle avait déchanté. Et le film était devenu moins palpitant. Plusieurs décennies plus tard, venait inévitablement la journée de février où elle se mettait à sacrer en québécois avec son accent latino en grattant le pare-brise de sa voiture pour aller travailler. Et à s’ennuyer de son pays.

Le Motel Allard était comme son deuxième chez-soi. Arrivée du Mexique en 1979, elle avait galéré quelque temps pour trouver du boulot et avait fini par être engagée comme femme de chambre en prétendant avoir travaillé dans l’industrie du tourisme à Acapulco. C’était loin du conte de fées auquel elle avait rêvé en débarquant de l’avion, mais c’était mieux que rien. Elle aimait l’ambiance de l’endroit, et les histoires des clients qui étaient de passage la faisaient voyager. Dans le bon vieux temps, certains y louaient une chambre pour l’été au complet, établissant domicile chez Allard entre une visite au parc Belmont, un après-midi au dernier étage du Eaton au centre-ville, une game au Stade… Même le bar du motel devenait excitant en soirée, avec sa petite scène sur laquelle venaient se produire des stars mineures des années ’80, et sa piste de danse qui s’enflammait les vendredis avec les employés des autres spots du boulevard qui débarquaient après leurs shifts. Les belles années où Gabriela arrondissait ses fins de mois avec les généreux pourboires laissés par les voyageurs et se liait d’amitié avec certaines familles de chambreurs réguliers.

C’était il y a bien longtemps, lui semblait-il.

Maintenant, plus personne ne laissait de pourboire. De toute façon, qui traînait encore de l’argent sur soi ? Et puis le Boulevard avait bien changé. La plupart des motels avaient fermé, délaissés au détriment des hôtels plus chics du DIX30. Il ne restait plus que La Siesta et le Motel Allard, épaves démodées d’une ère révolue. Avec ses deux suites puant l’humidité équipées de lits vibrants, ses bains en cœur émaillés et ses chaises Solair décolorées installées devant chaque porte de chambre, le Allard faisait office de survivant un peu élimé et flétri.

Et puis la clientèle n’était plus ce qu’elle était.



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