Homo Zapiens by Pelevine Viktor

Homo Zapiens by Pelevine Viktor

Auteur:Pelevine, Viktor [Viktor, Pelevine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Seuil
Publié: 2015-04-02T16:00:00+00:00


Vovtchik le Petit

L’amour de Dieu pour l’homme se manifeste dans un principe aussi grand qu’ineffable et qui est résumé par la phrase : « On peut quand même le faire. » Cette expression se rapporte à un nombre considérable de situations. Elle s’applique aussi au principe lui-même, puisqu’il a beau être absolument ineffable, il peut quand même être exprimé. De plus, il peut être exprimé un nombre infini de fois, et chaque fois de manière différente, c’est pourquoi la poésie existe. Tel est l’amour de Dieu. Et l’homme, comment Lui répond-il ?

Tatarski se réveilla en sueur, en se demandant pour quel péché on le punissait en déversant sur sa tête, par la fenêtre, un flot de lumière blanche impitoyable. Il lui restait le vague souvenir d’avoir crié dans son sommeil, et aussi, lui semblait-il, de s’être justifié devant quelqu’un. Bref, il avait eu un cauchemar en cuvant son vin. Et sa gueule de bois était tellement grave et primordiale qu’il n’avait même pas l’espoir de la faire partir en versant dans son gosier les cent grammes de vodka salutaires. Il ne pouvait même pas y songer, car la seule pensée de l’alcool lui donnait envie de vomir. Heureusement, l’hypostase irrationnelle et mystique de l’amour divin, chantée par le grand Erofeïev dans Moscou-Petouchki, venait de le toucher de son aile tremblante, car il y a vraiment un dieu pour les ivrognes.

Il existait quand même un moyen de boire un coup pour faire passer le mal aux cheveux. Cela s’appelait la « petite locomotive ». Tatarski avait appris cette méthode, peaufinée par des générations d’alcooliques, d’un habitué des cercles ésotériques de Saint-Pétersbourg, au lendemain d’une cuite effroyable.

— Il s’agit en fait de la méthode de Gurdjieff, lui avait expliqué l’homme, qui se rapporte à ce qu’on appelle « la voie de l’homme rusé ». Tu te vois comme une machine avec des récepteurs – les terminaisons nerveuses – et un centre de contrôle dans le cerveau. Ce centre te dit clairement que toute tentative pour absorber de l’alcool serait immédiatement punie d’un dégueulis salement dégueu. Que fait l’homme rusé ? Il trompe les récepteurs de la machine. Tu remplis ta bouche de limonade. Après cela, tu verses la vodka dans un verre et tu l’approches de tes lèvres. Ensuite, tu avales la limonade et, pendant que les récepteurs informent le centre de contrôle que tu bois ce liquide inoffensif bien que sucré, tu t’enfiles aussitôt la vodka. Le corps n’a pas le temps de réagir car son esprit est un peu lent. Mais il faut faire gaffe, car si tu remplaces la limonade par du Coca-Cola, tu as une chance sur deux de vomir. Et si c’est du Pepsi, tu dégueules à coup sûr.

Ça irait bien dans un concept, se dit Tatarski en passant dans la cuisine. Il restait un fond de vodka dans une bouteille. Il la versa dans un verre avant d’ouvrir le frigo. Il eut un moment de panique à la pensée qu’il n’y trouverait que le Pepsi qu’il



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