Histoire d'une femme libre by Françoise Giroud

Histoire d'une femme libre by Françoise Giroud

Auteur:Françoise Giroud [Giroud, Françoise]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie, Nouveau
Éditeur: Gallimard
Publié: 2013-03-27T13:03:27+00:00


Pourquoi suis-je passée, un soir de 1951(43), chez l’éditeur René Julliard alors que, attendue ailleurs, j’avais décliné son invitation ? La vérité m’oblige à répondre : parce que ma voiture était rangée dans une rue à sens unique. Engagée dans cette rue, je m’éloignais de mon domicile mais je passais tout près de la maison des Julliard.

Ils m’avaient avertie qu’un visiteur intéressant serait chez eux. Je m’arrêtai. Celui que j’espérais voir était déjà parti. Mais il y avait encore trois personnes, Maurice Schumann, Jean-Jacques Servan-Schreiber et sa jeune femme.

Provocants l’un et l’autre, ils ne formaient pas un couple indifférent.

Madeleine Servan-Schreiber(44), tout en angles aigus, élégance naturelle, ennui distingué, avait ce qu’il y a de plus rare chez les jeunes femmes : du style.

Jean-Jacques Servan-Schreiber, s’il avait été plus grand de dix centimètres, aurait eu alors le physique d’un play-boy américain. Sourire charmant, désinvolture alliée à la bonne façon de regarder et d’écouter les femmes comme s’il leur attachait de l’importance. Seule sa démarche indiquait qu’il n’était pas aussi assuré de sa séduction qu’il le paraissait.

Je le connais trop pour savoir l’impression qu’il produit aujourd’hui. Il a beaucoup changé. En bien, en mal ? Le temps n’est plus où il faisait gravement des grimaces pour creuser ses rides et où il triomphait chaque fois qu’un fil d’argent apparaissait dans le tapis-brosse de ses tempes, parce qu’il craignait que sa jeunesse apparente interdise de le prendre au sérieux. Maintenant, c’est le contraire. Les jeunes, il a peur de ne plus en être. Il est à l’âge où l’on commence à s’énerver de trouver toujours plus jeune que soi. Et puis, un directeur de journal armé de secrétaires qui se chargent d’envoyer les roses rouges sans lésiner sur le nombre, d’un ou deux chauffeurs qui vont chercher Madame, qui raccompagnent Mademoiselle, et de célébrités en tout genre dans chaque poche, ce n’est plus un homme, c’est un mythe.

À l’époque, journaliste à Paris-Presse, Servan-Schreiber ne disposait de rien de tel. Et dans le dérisoire domaine de cette puissance-là, j’en avais plus que lui. Mais il était mieux que l’écorce plaisante d’un mythe : un homme de lumière, lui aussi(45).

Curieusement, nous ne nous étions jamais vus alors que nous passions depuis deux ans la journée dans le même immeuble. Il y avait eu dans la journée je ne sais quel débat important à l’O.N.U. Je donnais un point de vue. Servan-Schreiber me regarda comme s’il m’écoutait. Et peut-être m’écoutait-il… À sa génération, on ne considère pas que la laideur soit le corollaire inévitable de l’intérêt pour la chose politique.

L’heure avançait. Nous prîmes, ensemble, congé de nos hôtes.

Devant la porte, Jean-Jacques et Madeleine Servan-Schreiber me proposèrent de me raccompagner. Ma voiture était garée devant la leur, de même marque, mais moins puissante. Je partis seule en avant.

À la hauteur du boulevard Saint-Germain, où la circulation était encore assez forte, une traction me doubla à folle allure, escaladant un refuge pour se faufiler, circulant en slalom et brûlant le feu rouge de la Concorde. Je n’eus que le temps de reconnaître le conducteur.



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