Henning Mankell by l'oeil du léopard

Auteur:l'oeil du léopard [du léopard, l'oeil]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2012-10-01T09:44:05+00:00

17

Qui lui chuchotera le mot de passe à l’oreille ? Qui lui dévoilera la Finalité ? Comment fera-t-il pour donner une finalité à sa vie ?

Cette année 1959, le printemps parvient une nouvelle fois à se frayer un chemin à travers la barrière obstinée du froid et Hans Olofson décide qu’un nouveau départ est nécessaire. Sa décision est vague et hésitante, mais il sent qu’il doit s’en aller.

Un samedi soir en mai, lorsque le marchand de chevaux arrive dans sa grosse Buick noire, il prend son courage à deux mains et va à sa rencontre. Pour commencer, Under ne comprend pas ce que balbutie le garçon et il veut l’écarter de son passage. Mais Hans Olofson insiste et réussit à faire entendre son message. Se rendant compte qu’il est question de démission, Under devient fou furieux et lève la main pour administrer une gifle au garçon qui l’évite en se baissant rapidement. Il ne reste plus au marchand de chevaux qu’à lui infliger une humiliation symbolique. Il sort un paquet de billets de sa poche, repère un billet de cinq et le lance par terre.

— Je voulais te payer selon tes mérites, mais il n’existe pas de coupure plus petite. Tu seras donc surpayé…

Hans Olofson ramasse l’argent et se rend à l’écurie pour dire au revoir aux chevaux et aux frères Holmström.

— Tu vas faire quoi maintenant ? demandent les frères qui sont en train de se préparer pour la soirée en se lavant sous le robinet d’eau froide.

— Je ne sais pas. Je trouverai bien quelque chose.

— Nous aussi on va partir, l’hiver prochain, disent les frères tout en remplaçant leurs bottes crottées par des chaussures de danse noires.

Ils lui offrent de l’aquavit.

— Ah, ce putain de marchand de chevaux ! disent-ils en se partageant la bouteille. Mais si tu vois une Saab, ça sera la nôtre. N’oublie pas ça…

Il court dans la soirée printanière et traverse le pont pour faire part de sa décision à Janine. Comme elle n’est pas encore revenue du Grand Rassemblement, il se promène dans son jardin en repensant au jour où Sture et lui ont badigeonné ses groseilliers de vernis. Il repousse ce souvenir, il n’a pas envie de voir cet acte irréfléchi remonter à la surface.

La vie est si compliquée. Ne se compose-t-elle pas surtout d’événements incompréhensibles qui vous menacent à chaque coin de rue ? Qui sait manier les sombres pulsions qui se cachent au fond de nous ?

Il s’assied sur les marches et pense à Sture. Se trouve-t-il dans un hôpital lointain ou sur une des dernières étoiles de l’univers ? Plusieurs fois, il a voulu poser la question à Nyman, le concierge de l’école, mais ça ne s’est jamais fait.

Trop de choses l’en ont empêché. En fait, il n’a pas vraiment envie de savoir. Il n’a pas besoin de ça pour imaginer l’horreur de sa vie. Un tube en métal, gros comme le bec verseur d’une cafetière, enfoncé dans la gorge… Un poumon d’acier, qu’est-ce que ça peut bien

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