Hò by François Gravel

Hò by François Gravel

Auteur:François Gravel
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 978-2-7644-1325-8
Éditeur: Québec Amérique


Le lendemain matin, avant même le lever du soleil, le directeur du camp nous a convoqués dans son bureau pour célébrer notre mariage. C’est lui qui présidait la cérémonie. Lin était accompagnée de sa responsable politique, qui lui servait de témoin, et j’étais accompagné de Qiu. Il n’y avait personne d’autre.

Pour la circonstance, on m’avait demandé de revêtir la tenue que je portais à la fête nationale, ce qui m’emplissait de fierté. Deux bouquets de fleurs avaient été déposés sur le bureau, de part et d’autre du portrait de Dao Kha, qui ne m’avait jamais paru aussi intimidant que ce jour-là.

J’étais trop gêné pour regarder Lin franchement, mais je m’y suis tout de même risqué quelques fois pendant que le directeur récitait des formules auxquelles je ne comprenais rien. Elle avait revêtu ses habits d’apparat, comme moi. Ses chaussures en cuir noir étaient étincelantes, sa jupe impeccable et sa blouse si blanche qu’elle en était éblouissante. Son foulard de pionnière était d’un rouge éclatant qui mettait en évidence ses tresses noires. Ses joues étaient presque aussi rouges que son foulard, et je me suis demandé un instant si elle avait mis de la poudre ou quelque produit de ce genre. Je me suis cependant vite ravisé. Ce genre de comportement exhibitionniste et décadent n’était pas encouragé chez les pionniers.

J’ai essayé de me concentrer à nouveau sur ce que disait le directeur, sans mieux réussir à le comprendre. Aucun des mots qui sortaient de sa bouche ne me paraissait compliqué, mais on aurait dit qu’il parlait une langue étrangère.

J’ai risqué un regard en direction de Qiu. Il se tenait au garde-à-vous, droit comme un piquet, et n’avait d’yeux que pour le portrait de Dao Kha. La responsable politique de Lin était tout aussi maigre que Qiu. Je me souviens de m’être demandé si on croisait des intellectuels entre eux comme on le faisait pour les athlètes, et d’avoir conclu que ce n’était sans doute pas le cas : au bout de deux ou trois générations, les rejetons auraient peut-être un gros cerveau, mais ils seraient trop faibles pour le supporter.

Tandis que le directeur nous lisait des extraits choisis des œuvres de Dao Kha, j’ai glissé un regard en direction de Lin, une fois de plus. Ses mains étaient étonnamment fines pour une haltérophile, et je pouvais voir qu’elles tremblaient. J’ai alors osé regarder son visage et nos regards se sont croisés. Elle semblait épouvantée, comme si j’étais un monstre qui s’apprêtait à la dévorer. J’ai essayé de lui sourire pour la rassurer, mais j’étais tellement nerveux que mon sourire a dû passer pour un rictus. Si j’avais pu lui parler, je lui aurais promis que jamais, au grand jamais, je ne lui ferais de mal. A-t-elle compris le message silencieux que j’ai essayé de lui lancer en ne me servant que de mes yeux ? Je crois que oui : il m’a semblé qu’elle avait l’air moins craintive10.

— Vous allez maintenant signer ce document, a alors dit le directeur, ce qui m’a fait sursauter.



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