Gouverner par le chaos by Lucien Cerise

Gouverner par le chaos by Lucien Cerise

Auteur:Lucien Cerise [Cerise, Lucien]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


LE VIRTUALISME

Cette plasticité autorise toutes les transgressions et réécritures du réel. En ingénierie politique, quand le comportement réel d'une population, par exemple au moment d'un vote, ne correspond pas aux prévisions du pouvoir, un lissage virtuel vient réécrire et corriger ce réel pour l’ajuster à la prévision. Ce lissage peut prendre plusieurs aspects. Le plus brutal consiste à faire comme si on n’avait rien vu et à ne pas tenir compte des résultats du scrutin. Les peuples disent « non » à un référendum, mais on fait comme s’ils avaient dit « oui ».

Malheureusement, une distorsion des faits aussi énorme révèle la vraie nature du pouvoir en place. Un bout de réel apparaît, la virtualisation n’est pas parfaite. Il est évidemment plus subtil de noyer le trucage des résultats dans des procédures juridiques, comme ce fut le cas pour les élections présidentielles de 2000 aux États-Unis. À l’avenir, la dématérialisation du vote, le remplacement des urnes et des bulletins par des bits numériques et le vote électronique faciliteront considérablement le trucage systématique des scrutins et la réécriture décomplexée du réel.

À titre de mise en garde, les études menées par Chantal Enguehard, chercheuse en informatique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ont déjà mis en évidence des falsifications introduites par les machines à voter dans les scrutins présidentiels, législatifs et municipaux de 2007 et 2008 en France[20].

La réécriture d’un réel qui ne convient pas aux prévisions s’inscrit dans ce fantasme de prédictibilité et de réduction absolue de l’incertitude, fantasme de sécurisation maximum du système qui caractérise la politique quand elle est sous influence « scientifique ». Si ce fantasme sécuritaire semble légitime dans le champ scientifique, il induit dans le champ sociopolitique des effets collatéraux que l’on peut résumer ainsi : aspiration à un contrôle total du réel, donc réification générale, chosification, transformation des sujets en objets et du vivant en non-vivant. Le réel étant, selon la définition topologique et structurale de Lacan, « ce qui ne se contrôle pas », l’ingénierie sociale vise donc ni plus ni moins qu’à abolir le réel. Au profit de quoi ?

Au profit d’une déréalisation parfaitement contrôlée, ce que Baudrillard appelait un « simulacre » (ou une « simulation »). En termes topologiques, le réel n’est donc pas une chose ou une substance (pas d’ontologie), mais une place, une position. N’importe quoi peut être en position de réel, dès lors que l’on bute dessus et qu’on ne le contrôle pas. À ce titre, même du virtuel peut être en position de réel, le « vrai » virtuel n’étant pas le contraire du réel, mais l’abolition de la distinction entre les deux. Le réel est ainsi l’autre nom de l’antagonisme originel qui fonde nos vies psychiques, la contradiction fondamentale des choses qui pose une limite à notre volonté de puissance. Dans le champ politique, le réel c’est donc tout ce qui est en position de contre-pouvoir. C’est donc aussi tout ce qui fait peser une menace sur la sûreté et la sécurisation de mon pouvoir, en tant que je le voudrais central et exclusif.



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