Gin tonic et concombre by Germain Rafaele

Auteur:Germain,Rafaele [Germain,Rafaele]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764806470
Éditeur: Libre Expression
Publié: 2013-10-03T16:00:00+00:00

Je l’ai aperçu avant qu’il me remarque. Il traversait la rue sous la neige, grand, brun, et je me suis arrêtée un moment pour observer ses longues jambes et son allure – pour regarder cet homme que je ne connaissais pas, qui ne m’était pas encore familier et qui allait peut-être le devenir. Allais-je alors encore remarquer sa silhouette? Sa démarche? Je me suis souvenue avec délice et nostalgie d’autres premières rencontres, de la découverte d’autres corps inconnus, de tous ces beaux et rares moments d’apprivoisement, quand tout était encore possible et que rien n’était tenu pour acquis. Y avait-il des choses, des gens, des amours auxquels on pouvait s’habituer sans qu’ils cessent de nous émerveiller? J’ai failli fermer les yeux, pour ne voir que du brouillard et me convaincre que c’était possible, mais je les ai gardés ouverts sur la forme de Gabriel sous la neige, qui marchait maintenant vers moi.

«Eille!» m’a-t-il dit en avançant. Il a glissé un peu sur une petite plaque de glace et s’est redressé en riant. J’ai ri moi aussi, jusqu’à ce que son sourire soit rendu tout près de mon visage et que ses yeux viennent se poser sur les miens. Il est alors arrivé quelque chose que je ne croyais plus pouvoir se produire de ma vie – quelque chose en fait que je soupçonnais presque d’être un mythe hérité de notre adolescence, alors que nous voulions tellement y croire et que nous ressentions tout si fort qu’elle pouvait encore avoir lieu: j’ai eu une réaction physique, ce que nous appelions autrefois des «papillons dans le ventre» et qui m’avait toujours donné l’impression de fondre de l’intérieur. Mon cœur ou mon estomac ou je ne sais trop quel organe en moi m’a semblé exploser, doucement, sensuellement, et j’aurais pu jurer que j’en ressentais la lumière qui irradiait, partout, jusque sur mon visage, avec lequel je ne savais plus quoi faire. J’aurais supplié n’importe qui, à ce moment-là, j’aurais fait n’importe quoi pour que Gabriel ne me quitte plus, pour qu’il me prenne dans ses bras.

«Je suis en retard, ai-je finalement balbutié.

— Ben…» Il a pointé un doigt vers lui, puis vers le sol, l’air amusé. Il était effectivement au moins aussi en retard que moi. J’ai pris conscience que je le regardais dans les yeux avec une intensité qui moi-même me dérangeait, et j’ai détourné la tête.

«On entre, mademoiselle?» a-t-il demandé en me tendant un bras. Il souriait, détendu, et son aisance commençait à se transmettre lentement à moi – il avait l’air tellement certain de ce qu’il était, d’avoir les yeux tellement ouverts, pour reprendre notre expression du week-end, qu’on ne pouvait que se laisser aller avec lui.

Il avait choisi le restaurant, un endroit chaleureux et plutôt bruyant que je connaissais un peu. J’étais contente: une place guindée où chaque convive aurait murmuré autour d’une chandelle de paraffine m’aurait probablement achevée.

«Tu veux un apéro?» m’a-t-il demandé alors même que nous nous asseyions, et j’ai pensé pour la première fois qu’il était

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