Gentilles filles, braves garçons by Roopa Farooki

Auteur:Roopa Farooki [Farooki, Roopa]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gaïa Éditions
Publié: 2017-04-14T22:00:00+00:00

Mae pénétra d’un pas décidé dans l’entrée du Hilton, arborant ses énormes lunettes de soleil et un foulard sur la tête, comme une femme sur le point d’avoir un rendez-vous illicite autour d’un verre, qui souhaitait qu’on la reconnaisse comme telle et qu’on la laisse tranquille. Sa fille adolescente, quelques pas derrière elle, en fripes, un magazine hurlant les noms de stars de cinéma dans une main et son portemonnaie préféré, à paillettes, en forme de papillon dans l’autre, la trahissait.

– Bienvenue, Mrs Kannon, l’accueillit le portier avec un grand sourire comme s’il faisait partie de la famille.

– Mrs Kannon, Mrs Kannon, roucoulaient les réceptionnistes de l’hôtel comme s’ils étaient de vieux amis, et faisaient des signes insistants au maître d’hôtel du coin café, qui accourut, hochant la tête avec ravissement pour montrer qu’avec l’arrivée de Mae et Sherry, sa journée était comblée.

– Mrs Kannon, madame, dit-il, avec un grand sourire lui aussi, et essuyant son front luisant avec une serviette propre.

On aurait dit que, tout à la joie de cette rencontre fortuite, il était sur le point de faire sauter son bouton de col et Mae éprouva l’envie de le lui dégrafer avant que celui-ci ne lui gicle dans l’œil.

– Chère madame, cela faisait trop longtemps. Votre mère vous attend, dit-il en leur désignant l’autre Mrs Kannon, qui leur faisait de grands signes, assise bien en évidence derrière la vitrine du café, tricotant quelque chose de long et coloré.

– Oh, fit Mae, en s’apercevant que son déguisement à quatre sous était une précaution superflue.

Elle dénoua son foulard et remonta ses lunettes de soleil sur ses cheveux, puis se tourna, en souriant et en hochant la tête pour remercier le maître d’hôtel, ne se rendant compte qu’à ce moment-là qu’elle n’avait encore pas dit merci. Elle soupçonna avec un certain embarras qu’elle avait déjà dû réadopter, après seulement quelques jours passés dans son ancienne maison, une partie de la raideur majestueuse de sa mère ainsi que de la parcimonie verbale de son père, comme si se montrer inutilement prodigue en la matière faisait courir le risque de trop en dévoiler.

– Dadi, s’écria Sherry, blindée et sans affectation, avant de courir vers Mrs Kannon pour la serrer dans ses bras et lui donner un baiser collant à la vaseline.

Elle attendit, pleine d’espoir, et Mrs Kannon ne la déçut pas : cherchant dans son sac, elle en tira une poignée de pinces en forme de papillons ainsi qu’un petit paquet de bonbons à la menthe colorés.

Tout le monde adorait Mrs Kannon à l’hôtel. Elle était adorée à l’école. À l’hôpital. On aurait même pu l’adorer lorsqu’elle marchait dans la rue. Partout. Mae n’aurait été qu’à moitié surprise si le personnel s’était inopinément mis à lui chanter une chanson et à lui offrir des fleurs. Elle aussi adorait Mrs Kannon, mais celle-ci lui faisait ressentir sa propre indignité d’une manière exactement inverse à ce que faisait sa mère : elle recevait un peu de chaleur de cette lumière dorée qui se déversait autour de Mrs Kannon, un reflet rougeoyant.

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