Gōkan by Galhos Diniz

Auteur:Galhos Diniz [Diniz, Galhos]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le cherche midi

8

Happy Meal

« D’Yer Mak’Er », Led Zeppelin

« VOUS VOULEZ QUE JE VOUS DISE ? C’est exactement pour ça que je commence à aimer votre pays : on se sent vraiment en territoire conquis, vous comprenez ? En dépit de toutes vos tantouseries régionales, c’est une colonie américaine. »

L’Américain se tient au comptoir d’un restaurant de fast-food. La caissière, une jeune étudiante, lui a dit dans un anglais approximatif qu’elle lui apporterait son menu en salle. Il a parfaitement compris, mais bloque sciemment la file de clients qui s’allonge derrière lui.

« Je redoutais vraiment de devoir me nourrir de poisson cru et de thé amer, de poulpe, de soupe et de toutes les saloperies que vous avez l’habitude d’ingurgiter. J’arrive ici, et qu’est-ce que je vois ? Des distributeurs de Coca à chaque coin de rue. Des McDonald’s, des Starbucks, des Burger King. Des terrains de base-ball, des annonces en anglais dans le métro. Merde, on nous indique même le nom des stations avec l’accent américain ! Une vraie colonie, je vous dis. Et je ne parle même pas de l’attitude des gens d’ici. Regardez-vous un peu ! »

L’Américain la désigne des deux mains avec un sourire enthousiaste. La jeune serveuse est doublement gênée. D’abord parce que ce client étranger est en train de bloquer la file d’attente, ensuite parce qu’elle se méprend sur ses intentions. Elle n’a jamais été très bonne en anglais. Et cet homme parle trop vite. Elle croit qu’il est en train de la complimenter, et elle en est extrêmement confuse. Ça lui est déjà arrivé, une fois. Un client qui n’arrêtait pas de lui dire qu’elle était très belle. Ces Occidentaux ont parfois de drôles de comportements.

« Mais regardez-vous un peu, mademoiselle ! Tout en vous sue la servilité du colonisé ! Votre politesse déplacée, vos petits acquiescements soumis, vos sourires forcés, alors que je suis en train de vous monopoliser, sans me soucier de la quinzaine d’esclaves qui piétinent derrière moi ! Et pensez-vous qu’un seul parmi eux oserait me demander de m’écarter, même obséquieusement ? Dieu merci, jamais de la vie ! »

La jeune serveuse pose le Coca de l’Américain sur son plateau, et lui redit qu’elle lui apportera le reste par la suite, cette fois-ci en japonais. L’Américain sourit toujours, et attrape son verre en carton. Il hoche la tête en aspirant à travers la paille.

« Je ne comprends pas votre langue. Je n’ai pas eu à l’apprendre, vous comprenez ? Vous, vous avez dû apprendre la mienne, parce que nous sommes les dominants, et vous les dominés. C’est aussi simple que ça. Nous sommes la première économie du monde, nous avons l’armée la plus puissante à la surface du globe, et nous avons su imposer notre culture comme modèle à l’ensemble du genre humain. La moindre des politesses, c’est de me parler en anglais. »

La jeune serveuse prie pour que ce foutu sandwich arrive. Une vingtaine de personnes attendent derrière l’Américain. Il va falloir rattraper tout ce retard. Elle en a déjà des nœuds au ventre.

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