Gadenne by Unknown

Gadenne by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2012-11-26T20:03:13+00:00


XVIII

JE raconterai maintenant au passé les événements qui ont suivi, car pendant plusieurs jours je n’ai pu écrire, et aujourd’hui encore je ne le puis qu’avec effort. Mais je ferai cet effort, ne fût-ce que par exercice, et pour m’assurer que j’ai eu raison de quitter cette rue, cette chambre au fond de laquelle je m’enlisais…

Je reprends mon récit au point exact où je l’ai laissé.

J’ignorais donc si mon amie m’avait écouté ce soir-là, mais quand je la revis, quelques jours plus tard, dans des circonstances analogues, – car c’était un soir tout pareil, et un même crépuscule brouillé de cheveux incertains, où la fenêtre se découpait pareillement sur le gris assombri du ciel, – elle revint sur l’histoire que je lui avais contée et me demanda timidement des détails. Est-ce que cela se passait à Paris ?… Et y avait-il bien longtemps ?… Et de quel côté fallait-il à peu près situer la scène ?…

— Ceci est un peu confus dans ma mémoire, lui dis-je, non sans hypocrisie. Je me rappelle l’événement avec certitude, mais, dois-je vous l’avouer, le décor ne m’en est pas exactement resté…

Et aussitôt, ne voulant pas la décevoir, – mais voulant moins encore livrer une vérité qui m’eût lié :

— Cela devait se passer quelque part là-bas, vers la Seine…

— Vous ne pourriez vraiment pas retrouver l’endroit ?

— À quoi bon ? dis-je, étonné par son insistance. Imaginez une rue comme vous en connaissez, des façades nues, des vitres miroitantes, — un grand vide, une pauvreté magique…

Elle ne me laissa pas le temps d’aller plus loin.

— Écoutez, dit-elle, s’animant soudain, vous allez me trouver sotte et prétentieuse, mais je voudrais aller un jour là-bas avec vous. Ou un soir… Est-ce impossible ? Est-ce que je suis ridicule ?… Peut-être que nous entendrions le petit cheval… Dites ?… Ou bien qu’il nous arriverait aussi quelque chose ?…

Je regrettai aussitôt de m’être laissé engager dans cette conversation. Je me levai, fis le tour de la chambre, sans qu’elle me quittât des yeux. Elle était là, attendant ma réponse : je ne pouvais ignorer la fête qu’elle se faisait de mon consentement.

— Il faudrait, lui dis-je, que vous me laissiez réfléchir.

— J’imagine si bien la chambre, dit-elle, rêvant tout haut. Avec des murs roses, une carpette, une lampe. Ce serait loin, très loin d’ici, des maisons à gros ventre, et nous n’aurions pas peur que la maison s’écroule au petit matin…

J’avais légèrement tressailli. Nous nous enfoncions de plus en plus. Quelques instants plus tard, cependant, je réfléchissais qu’il y avait dans Paris bien des hôtels, qu’il y avait bien des rues qui menaient vers la Seine, et aussi bien des chevaux. Je considérai avec plus d’attention ma jeune amie, sagement posée au-dessus des couvertures, prenant si peu de place, faisant si peu de bruit, et je me demandais quelles pouvaient être ses occupations. Je me la représentais trottinant dans Paris, trimballant de petits cartons de modiste, gentille, effacée, un peu farouche, petit corps précieux et parfait, ne se



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