Folies d’infâmes by Siniac Pierre

Folies d’infâmes by Siniac Pierre

Auteur:Siniac, Pierre
La langue: fra
Format: epub
Tags: Série Noire, Nouvelles
Éditeur: Série Noire
Publié: 1983-08-15T00:00:00+00:00


1981

Un pigeon sur la route

I

Ce matin-là, pour la troisième fois en un mois, un avion-taxi s’écrasa dans le massif de la Grande-Chartreuse. À Lyon, on commença à murmurer que Jamblard n’avait vraiment pas de chance, car l’appareil, là encore, appartenait à sa compagnie. C’était un homme qui avait eu des histoires, à peu près un an plus tôt, juste avant qu’il ne fonde sa société d’avions-taxis. Un scandale énorme avait été évité de justesse, peut-être bien parce que quelques gros bonnets du milieu politique local avaient couru le risque d’être éclaboussés. Une histoire de tours, de cité nouvelle à bâtir sur la route de Saint-Genis-Laval. On avait étouffé, deux mois à peine avant les élections municipales. Le nom de Jamblard avait été prononcé dans des dîners en ville, dans de grands restaurants spécialisés dans les déjeuners d’affaires, mais aussi dans les bureaux feutrés de la Préfecture, de la mairie et de deux ou trois holdings de la région Rhône-Alpes.

Un homme de 60 ans, parti de rien, comme on dit. On prétendait que cela existait encore. Les mauvaises langues, les envieux et les ratés évoquaient des appuis politiques, des affiliations à telle ou telle société secrète, voire des sympathies dans un gang, enfin, toute la boue visqueuse que l’on colle parfois à la peau de ceux qui ont réussi après être partis d’un milieu modeste. Après avoir été un des rois de Lyon, Jamblard s’était retrouvé, à l’entrée de la soixantaine, presque aussi petit et vulnérable que l’obscur commis d’agent de change qu’il avait été trente-cinq ans plus tôt, débarquant à Lyon, venant d’Ambert, à la main sa petite valise qui ne contenait aucune lettre de recommandation.

Attention, les ratés ne vous rateront pas !

Se l’était-il souvent répétée, cette petite phrase de Bernanos, au moment de l’« affaire ».

Une presse montée des égouts avait tenté de déclencher l’hallali. Il existe de très beaux étangs, autour de Lyon. La Dombes, par exemple. Et il n’avait pu s’empêcher de penser à celui qui s’était rendu aux Étangs de Hollande, quelques années plus tôt…

— Moi, je n’ai pas cette gentillesse, avait-il murmuré à sa femme. Je ne m’y rendrai pas tout seul. Je n’aime pas entrer dans l’eau sans que quelqu’un me tienne la main… Une manie que j’ai chipée quand j’étais tout gamin…

Entraîner un des chacals avec lui…

Était-ce parce qu’il l’avait déclaré en public, ici et là, que la rumeur avait brusquement cessé, dans les feuilles de chou gluantes ? Il avait visé juste, tablé sur la lâcheté humaine, le manque de courage de certains… Pousser un type fini au gouffre – ou à l’eau – c’est faisable, à condition que le suicidé ne vienne pas déranger le monde et fasse sa petite affaire en solo…

Il s’en était tiré. Il s’était battu, avec les griffes de l’orgueil. Avait mis sur pied cette compagnie d’avions-taxis…

Et voilà que son nom revenait à la une, après ces trois accidents en moins d’un mois…

Pourtant, si l’honneur était resté sauf, la peau intacte, il avait dû, après l’« histoire », liquider presque tous ses biens pour pouvoir faire face aux vautours.



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