Faserland by Christian Kracht

Faserland by Christian Kracht

Auteur:Christian Kracht [Kracht, Christian]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Phébus
Publié: 2020-01-28T16:00:00+00:00


Donc, le type de l’hôtel aux huit doigts me donne la clé, je monte les escaliers avec ma valise, et, juste avant d’arriver à la chambre, je renifle la clé dans ma main, et elle sent le savon, et soudain je me souviens d’un truc qui a quelque chose à voir avec l’odeur de ce savon. Je ne me rappelle plus ce que c’est exactement, je sais juste que c’est en rapport avec un morceau de savon que j’avais dans la poche de mon short. C’était à Madère, je crois. J’y suis allé une fois avec mon père, ça doit faire un bon bout de temps.

On logeait à l’hôtel Reid, et mon père s’est tiré toute une journée parce qu’il avait des « affaires » à régler. Non, mais vous imaginez : des affaires à Madère. Enfin, peu importe. Donc, j’ai traînaillé dans ce vieil hôtel colonial terriblement vénérable en m’ennuyant à mourir. Dans la salle de billard, j’ai lu un vieux Bravo datant de trois semaines, à l’époque ce n’était pas un magazine porno comme aujourd’hui, avec des lesbiennes nues de dix-sept ans à deux sous la douche. Il y avait des articles pudiques sur l’éjaculation et des photorécits sur Robby Muller, des Teens, sur Smokie ou Thommy Ohrner, de la série télé Timm Thaler, la première série, d’ailleurs, dans laquelle quelqu’un portait des bermudas blancs et des mocassins à boucles dorées.

Je l’ai lu à l’endroit, à l’envers, par les côtés, j’ai lu tout, absolument chaque phrase de ce foutu Bravo. Un employé de l’hôtel a fini par me dénicher, il m’a d’abord ôté la revue et ensuite convaincu de participer à un jeu, en bas, dans la piscine. On vous bandait les yeux, puis on vous attachait par la jambe à celle de quelqu’un d’autre avec une ceinture. Aujourd’hui, ça a l’air vachement bizarre, mais à ce moment-là ce n’était pas le cas. Je veux dire, j’avais peut-être tout juste onze ans, hein.

Ensuite, les couples attachés se sont alignés, et, au signal, tout le monde s’est élancé en courant et en sautillant vers une ligne d’arrivée qui se trouvait juste avant le bassin, mais personne n’a réussi à la rejoindre. Ils sont tous tombés sauf moi, parce que j’avais mon short et que la ceinture qui me liait à l’autre personne me râpait si fort la jambe que je me suis mis à saigner. L’autre était beaucoup plus grand que moi, c’est pour ça que ça râpait si fort. Enfin bon, et la douleur était si intense, ça paraîtra peut-être idiot, mais je le dis quand même : je ne pouvais tout bonnement pas tomber.

La ceinture frottait, frottait contre l’intérieur de ma jambe, je ne voyais rien, bien sûr, à cause du bandeau, et j’ai remarqué que ma jambe devenait toute brûlante et tout humide à cause du sang qui coulait, mais je ne me suis pas ramassé, hors de question. Les autres étaient tous adultes et riaient, ça les amusait d’une autre façon, mais moi j’ai couru tout droit vers la piscine.



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