Entretiens au bord de la mer by Alain

Entretiens au bord de la mer by Alain

Auteur:Alain [Alain]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Philosophie
ISBN: 9782072027291
Google: gcp0CgAAQBAJ
Éditeur: Folio
Publié: 2015-08-31T04:00:00+00:00


SEPTIÈME ENTRETIEN

Par concept.Du haut de la falaise, nous avions sous les yeux la mer comme un grand miroir. “Désespoir du peintre, dit le vieillard ; nous distinguons ici le fond à travers la masse translucide ; d'où ces nappes et traînées de couleur, qui n'ont point la forme de l'eau. N'essayons point de nommer ; composons, sans aucune pensée, par des essais et des retouches ; dès que le peintre sait comment sa couleur est faite, sa couleur est fausse.”

J'aurais pu faire mon profit de ces remarques, car ce jour-là je tenais, moi aussi, palette et pinceaux. Et je remarquais que je ne posais jamais une couleur Langage. sans la nommer ; je peignais par concept, et mon petit panneau n'était qu'un discours de couleurs. À quoi il n'y avait plus de remède, car le beau moment s'effaçait. Aussi, j'avais pensé tout haut, en pliant mon bagage.

“Oui, dit Lebrun ; la couleur est alors un langage ; on peut le comprendre, et se plaire à le comprendre ; et nous avons vu d'étranges procédés, qui font une espèce de vérité propre à la peinture.”

“Comme il y a, ajoutai-je, un genre de vérité propre à l'idéalisme, un autre genre propre au mysticisme, et aussi une palette des psychologues, qui change tous les vingt ans.”

“À ce compte, dit le peintre, la couleur de la mer serait de mode, comme celle des robes. Mais mon plaisir ici n'est pas de plaire. Heureux si je ne pensais pas plus aux systèmes, devant cet univers, que je ne pense aux couleurs en Iphigénie. mon patient travail de peintre. Mais on ne peut.”

“On ne peut, interrompis-je, puisque, par des chemins qui me semblent assez neufs, nous tombions pourtant sur des problèmes de concours.”

Lebrun riait : “Comment, dit-il, la liberté est-elle conciliable avec le déterminisme des phénomènes ?”

“Et cet autre, dis-je, qui est comme le sacrifice d'Iphigénie pour le peintre d'idées : de l'existence du monde extérieur !”

“Il ne faudra pourtant point rougir, dit le vieillard, si l'on reconnaît aussitôt ces vieux problèmes par nos couleurs neuves. Et, d'abord, il faut que le monde paraisse dans nos discours comme il est ; après quoi je prévois que la liberté paraîtra aussi dans nos discours comme elle est.”

“Et tel est je crois, ajouta Lebrun, le meilleur ordre ; car chacun sent bien Berkeley. que la liberté ne s'exerce que contre un objet pur ; et, pour ma part, je crois que je le sais.”

“C'est le ciment armé, dis-je, qui vous a appris cela. À ce monde, donc ; et il me semble que nous n'étions pas loin de le saisir.”

“Ce qui, ajouta le vieillard, est la preuve. Bien clairement, j'aperçois que, dans ces efforts à prouver l'existence du monde, ce qui manque c'est le monde lui-même. On nous propose des fantômes, et l'on voudrait ajouter à l'un d'eux ou à tous l'existence qui leur manque ; mais, parce que l'existence leur manque, la preuve manque. Il faut penser ici, à Berkeley, à ses ancêtres innombrables, et à la multitude de ses enfants.



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