Entrer dans une pensée ou des possibles de l'esprit by François Jullien

Entrer dans une pensée ou des possibles de l'esprit by François Jullien

Auteur:François Jullien
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 6fc874733ae423c46d8d0233d8a63c073ad91148
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2014-07-14T16:00:00+00:00


Or, dès lors qu’on prend ce chemin buissonnier et qu’on commence à circuler tant soit peu, de-ci de-là, entre les cultures, la Théogonie grecque nous posera le même problème que la Genèse : traitant du commencement du monde, pourra-t-elle servir elle-même à marquer un commencement ? Suis-je même autorisé à traiter ainsi du « grec », l’isolant peut-être abusivement ? Voire, des « Grecs » ont-ils jamais existé ? N’ont-ils pas été forgés par nos Humanités ? Car, comme le fait découvrir de mieux en mieux une documentation récente, le poème d’Hésiode possède lui aussi un arrière-plan oriental. Dans le mythe Kumarbi, par exemple, le dieu de la foudre est tenu, tel Zeus, pour la figure suprême du panthéon hittite ; de même que dans la Théogonie, il y est rapporté non seulement comment il vient au monde, après des générations de dieux, mais aussi son élévation à la royauté du ciel. On peut même descendre à cet égard jusque dans les détails : on y trouve tel dieu qui, comme Kronos, avale une pierre à la place de son fils ; de même qu’Ouranos, le Ciel d’Hésiode, est châtré par Kronos, Anu l’est des mains de Kumarbi. S’enchaînent, de part et d’autre, entre les dieux, les scènes de complot, de vengeance et les combats titanesques. De même apprend-on, si l’on se tourne à nouveau vers la Mésopotamie, que l’épopée de l’Enuma Elish célèbre dans le jeune Marduk un pendant au Zeus hésiodique, éliminant ses rivaux et triomphant des monstres, Tiamat répondant à Typhée ; il finit, comme Zeus, par imposer au monde sa justice et sa paix. Serait-ce même là l’archétype dont le mythe hittite aussi bien que la Théogonie d’Hésiode sont dérivés ? Parti en quête de sources et de parallèles, on n’en finira plus, en tout cas, d’inventorier : au-delà des transmissions et des influences, l’imagination humaine se révélerait-elle, pour évoquer le commencement du monde, si limitée ?

Quel autre possible s’y dessinerait ainsi, à large échelle, dont aurait travaillé à se détacher, pour sa part, la « Création » biblique et qui, ne se dégageant pas lui-même d’un devenir cosmogonique, en ferait au contraire la trame de son enchaînement et de ses péripéties ? Le poème d’Hésiode, par son élaboration poétique, en marquerait dès lors un point, non plus de départ, mais déjà d’accomplissement. Tenir ce possible pour mythologique, en vis-à-vis du théologique, y fait paraître, en effet, une autre ressource, formant alternative, dont il faudra se demander à nouveau si la fécondité, réprouvée par l’autre, est pour autant épuisée. Dans quelle mesure le « mythe » se laisserait-il donc périmer ? Car, dans la mise en scène d’un commencement du monde, il ne s’agit plus, avec lui, d’extraire un Dehors qui soit porteur de transcendance, comme dans la Bible, mais d’en tester, sous figure de dieux et d’engendrement, les lignes de tension et d’agencement ; non plus de céder au vertige de l’infini, mais de fournir des schémas narratifs, muthoi, qui soient aussi explicatifs. Cette ressource,



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