Enfant 44 by Un livre Un film

Enfant 44 by Un livre Un film

Auteur:Un livre Un film [film, Un livre Un]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2012-06-05T15:50:37+00:00


20 mars

RAÏSSA PASSA LA MAIN SUR L'ENCADREMENT DE LA FENÊTRE. Les clous qui la maintenaient fermée avaient tous été arrachés avec une pince. Elle se retourna et alla ouvrir la porte. Du couloir elle entendit le brouhaha du restaurant au rez-de-chaussée, mais il n’y avait pas trace de Basarov. C’était la fin de la soirée, moment où il était le plus occupé. Après avoir refermé la porte et donné un tour de clé, Raïssa regagna la fenêtre, l’ouvrit, jeta un coup d’œil au-dehors. En contrebas se trouvait le toit de la cuisine, légèrement incliné. Des empreintes de pas dans la neige indiquaient l’endroit par où Leo était descendu. Elle était furieuse. Alors qu’ils avaient survécu de justesse, il mettait leurs deux vies en danger.

Elle venait de terminer sa deuxième journée de cours à l’école secondaire 151. Le directeur, Vitali Kozlovitch Kapler, qui approchait de la cinquantaine, se félicitait que Raïssa rejoigne son équipe, car elle le déchargerait d’une bonne partie de ses cours, lui permettant, prétendait-il, de régler des formalités administratives en retard. Que son arrivée donne en effet au directeur la possibilité d’accomplir d’autres tâches ou simplement de travailler moins, Raïssa n’aurait pu le dire. À première vue, il préférait le travail administratif à l’enseignement. Quoi qu’il en soit, elle s’était réjouie de commencer aussitôt. À en juger par les quelques cours qu’elle avait donnés jusqu’à présent, ses élèves avaient une conscience politique moins développée que ceux de Moscou. Ils n’applaudissaient pas en entendant le nom des personnages-clés du Kremlin, ne faisaient pas de zèle pour prouver leur loyauté au Parti et, de manière générale, ils se comportaient davantage comme des enfants. Appartenant à des milieux très différents, à des familles recrutées aux quatre coins du pays, ils avaient des expériences contrastées de la vie en société. Cela valait aussi pour l’équipe enseignante. Presque tous les professeurs venaient d’autres régions et avaient été mutés à Voualsk. Leur vie ayant été aussi bouleversée que celle de Raïssa, ils la traitaient avec sympathie. Certes, ils se méfiaient d’elle. Qui était-elle ? Pourquoi l’avait-on envoyée là ? Pouvait-on vraiment lui faire confiance ? Mais elle ne s’en formalisait pas : tout le monde se posait ce genre de questions. Pour la première fois, elle s’imaginait pouvoir vivre là.

Elle était restée à l’école tard dans la soirée, pour lire et préparer ses cours. L’école 151 était cent fois plus confortable qu’une chambre bruyante au-dessus d’un restaurant malodorant. Ces conditions de vie sordides représentaient leur châtiment, mais si elles atteignaient Leo, elles se révélaient une arme inefficace contre Raïssa. D’abord et avant tout, elle était suprêmement adaptable. Elle ne s’attachait ni aux bâtiments, ni aux villes, ni aux objets. Ces sentiments s’étaient brutalement volatilisés le jour où elle avait assisté à la destruction de la maison de son enfance. Au début de la guerre, âgée de dix-sept ans, elle faisait la cueillette dans la forêt, des champignons dans une poche, des baies sauvages dans l’autre, quand les premiers obus étaient tombés. Pas tout près d’elle, au loin.



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