En guerre by François Bégaudeau

En guerre by François Bégaudeau

Auteur:François Bégaudeau [Bégaudeau, François]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782072776823
Google: jg9jDwAAQBAJ
Éditeur: Verticales
Publié: 2018-07-04T14:01:40+00:00


La première faiblesse dans la main, Luciano Cunhal la ressent en novembre 2015. Et bien sûr il passe outre. Une douleur de plus ou de moins. En 50 ans de plomberie, il ne se souvient pas d’un jour où il n’ait pas eu mal quelque part. Après tout si le travail ne faisait pas mal il ne serait pas rémunéré.

On ne s’arrête pas pour une main légèrement ramollie. On ne s’arrête jamais. On n’est pas un fonctionnaire, sauf le respect. On est artisan. Indépendant et fier de l’être. On y a tenu, on s’est battu. Et une fois à son compte, une interruption d’un jour grève les comptes. Jamais faiblir, jamais faillir. C’est le revers de l’indépendance, la part maudite de l’adrénaline commerçante : si chaque seconde travaillée est un gain, chaque seconde non travaillée est une perte.

De toute façon, il ne saurait pas ne rien faire. Aussi loin qu’il remonte dans son enfance, Luciano s’y voit actif. L’enfant joueur de Benfica que sa mère assure qu’il fut s’est perdu dans les limbes du temps. Sur la première image qu’il accrédite, il a 15 ans, il est aux côtés de son père qui lui apprend le métier, qui lui apprend de quel bois dur la société se chauffe. La morphologie des décennies suivantes se façonne à ce moment. On n’aspirera à rien d’autre. Le métier sera la base et la destination. On l’exercera pour gagner de quoi continuer à l’exercer.

Comme elle le voit palper ses métacarpes après avoir coupé un pain de campagne, Cordelia Cunhal, née Matias, insiste pour qu’il consulte. Des fois que ce serait grave. Qui craint le pire s’en protège, dit l’épouse. Ou le fait venir, rétorque l’époux. Du coup il suffira qu’on n’y pense plus pour que ça n’existe plus. Et puis qui va le remplacer ? Elle, peut-être ? À 67 ans il ne va pas commencer une carrière de parasite.

En décembre, sa main a perdu toute force. Juste visser ou dévisser elle ne peut plus. Les gestes cardinaux. Les opérations paradigmatiques. Même appuyer sur la gâchette de la carabine double express demande un effort terrible.

Moins convaincu que soucieux d’apaiser sa femme qu’un rien panique, il s’accorde deux jours de repos. Et tant qu’à perdre du temps, autant le perdre chez le docteur. Il n’aime pas bien cette race-là. Des irresponsables qui dispensent des arrêts maladie à toutes les pleureuses, et après le manque à gagner de l’État se répercute sur les charges des petits patrons. Les toubibs, moins il en voit, mieux il se porte.

Deux semaines après, l’électromyogramme confirme la prescience du généraliste. Compression du nerf cubital au coude. Peut-être pas lié directement au travail, mais les huit heures de tuyauterie par jour n’ont pas dû aider.

Dix.

Pardon ?

Dix heures par jour. Parfois douze.

Le nerf cubital intervient sur les muscles interosseux, ceux qui permettent d’écarter les doigts. S’il est comprimé, la vitesse de conduction diminue. Le risque de paralysie existe, il faut vite intervenir pour libérer le nerf. On a déjà trop traîné. Trente jours plus tard on le mène au bloc du service chirurgie de la main de l’Hôpital sud, route de Paris.



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