Du voisinage by Hélène L'Heuillet

Du voisinage by Hélène L'Heuillet

Auteur:Hélène L'Heuillet [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2016-04-14T16:00:00+00:00


3.

Ceux d’en haut

* * *

Les voisins d’en haut sont les plus détestés des voisins. Quoi de plus exaspérant que d’entendre quelqu’un marcher au-dessus de sa tête ? Impossible alors de ne pas se figer dans l’écoute du bruit. Ceux d’en haut sont responsables du malheur du monde. Quand nous nous sentons menacés, c’est toujours par ceux d’en haut. La réalité des relations de ségrégation et de mépris engendre une forme de ressentiment, le ressentiment à l’égard de ceux d’en haut, des « gros », des élites. Le voisin d’en haut est d’abord accusé de se cacher. Comme celui du bas, il est invisible. Mais ce n’est pas par déni et refus d’ouvrir les yeux sur lui que nous ne le voyons pas, mais parce qu’il ne peut ni ne veut être vu. Il se signale par le bruit, à tel point que la menace que fait courir un bruit anonyme et parfois seulement mécanique n’est perçu comme une persécution que si ce bruit paraît causé par une personne, que l’on dote de l’intention de nous déranger. Le voisin du haut est aussi pour cette raison le plus imaginaire des voisins. S’il faut se forcer à ouvrir les yeux sur les voisins d’en bas, si nous avons parfois le sentiment qu’il n’y a personne dans la rue, en revanche, nous passons notre temps à imaginer ce qui se passe au-dessus de notre tête, comme s’il y avait là quelqu’un toujours prêt à nous déposséder de notre existence et de notre tranquillité. Alors qu’il y a bien dans la rue quelqu’un dont nous récusons l’existence personnelle, nous personnifions souvent à tort ce qui vient du haut. Version urbanisée de la transcendance, le voisin du dessus apparaît cause de tout. La hauteur est la marque de son pouvoir, pouvoir dissimulé et illégitime. On lui prête tous les torts, toutes les fautes. L’oppression réelle cherche souvent sa justification dans ce pouvoir imaginaire d’un voisin, que l’on tient pour injustement supérieur.

Le ressentiment est le sentiment éprouvé à l’égard du voisin du haut. Tout est mieux vu d’en haut. Celui d’en haut vit dans les nuées. Il désigne moins le supérieur hiérarchique que ce que l’on regroupe sous la dénomination vague d’« élite ». En quoi le fait de se hisser à un étage supérieur contrevient-il ou non aux requisit de l’égalité démocratique ? Le haut de l’échelle est suspect. Chacun voulant s’y hisser, celui qui s’y trouve est non seulement envié mais accusé de s’y trouver illégitimement. Le discours sur le voisin d’en haut puise dans la rhétorique populiste. Pour rétablir l’espace commun de la coexistence humaine, il faut d’abord démythifier le voisin d’en haut. Mais cela conduit aussi à défaire les hiérarchies imaginaires, pour se demander ce que peut signifier occuper la place d’en haut en démocratie. Le voisin d’en haut ne rompt pas l’horizontalité du voisinage, mais il la rend possible, à condition de savoir qu’il ne désigne qu’une place et rien de substantiel.



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