det_Keila la Rouge by Isaac Bashevis Singer

det_Keila la Rouge by Isaac Bashevis Singer

Auteur:Isaac Bashevis Singer
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Literary, General
Éditeur: Stock
Publié: 2018-01-30T23:00:00+00:00


3

Max et Fania étaient au lit. D’abord elle l’avait baigné et frotté, en s’affairant autour de lui comme une vraie maman. Elle le chatouillait et cela le faisait rire. Et quand elle vint à lui ensuite, il fut d’abord submergé de désir. Seulement Keila avait la peau très blanche et celle de Fania était jaune et ridée. Elle avait des varices aux jambes, des orteils tout tordus, et des verrues.

Il la tourna vers lui et ils restèrent silencieux.

« Eh bien, comme tu vois, dit-il, je ne suis plus bon à rien.

– Tu n’as pas à t’excuser. Tu me plais tel que tu es.

– C’était le lit de qui ? De ton patron ou de sa femme ?

– De mon patron. Il y est mort. »

Ils discutèrent longtemps. Fania lui parla de la boutique. Elle avait essayé de s’en occuper complètement elle-même, tout en gardant l’appartement. Elle s’était crue plus solide, mais devint peu à peu si faible qu’elle dut aller voir un docteur. Il lui dit qu’elle souffrait d’anémie et lui prescrivit du fer. Elle avait engagé quelqu’un pour l’aider, une femme abandonnée par son mari. Elle ne pouvait pas trop compter sur elle, mais elle paraissait honnête. Il lui arrivait de la laisser seule au magasin. Avait-elle le choix ? Comment tout surveiller et compter jusqu’au moindre groschen ? Le patron – qu’il intercède pour nous au ciel – avait entassé une telle quantité de marchandise que Fania elle-même ne savait pas ce qu’il y avait sur les plus hautes étagères. Elle devait sans cesse grimper à l’échelle et découvrait de nouvelles pièces qu’elle ne connaissait pas. Cela avait été une manie chez son patron d’acheter les stocks entiers de commerçants ayant fait faillite. Elle ajouta :

« Dans ce genre de métier, on doit avoir toutes sortes de modèles. Des clientes arrivent et on ne pourrait même pas imaginer leur silhouette si on ne la voyait pas de ses propres yeux. Certaines femmes ont une poitrine si énorme qu’elle ne tient dans aucune chemise. D’autres sont plus plates qu’un homme. Et puis il y a celles qui ont subi une opération. Un jour, une fille est arrivée, jolie comme un cœur, mais elle n’avait qu’un sein. À l’autre, elle avait eu un kyste qui s’était révélé cancéreux. Il faut offrir à chacune ce qui lui convient. Mon employée ne fait pas grand-chose, mais c’est mieux que rien. Et si elle me vole, que faire ? On n’emporte rien dans sa tombe. Mon patron économisait autant qu’il pouvait mais, comme je te l’ai déjà dit, les soins de sa femme lui coûtaient cher. Et quand son heure est venue, il est parti, comme tous les autres. À qui laisserai-je ce qui reste ? Je n’aurai plus d’enfants à mon âge.

– Pourquoi ? Tu es encore assez jeune pour ça.

– Non, plus assez jeune. C’est bien d’en avoir vers vingt ans, pas à trente ou plus. Le mieux, c’est de commencer tout de suite après le mariage, à dix-huit, dix-neuf ans. On ne réfléchit pas trop, alors.



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