det_Déracinée by Naomi Novik

det_Déracinée by Naomi Novik

Auteur:Naomi Novik [Novik, Naomi]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Pygmalion
Publié: 2017-01-10T23:00:00+00:00


Nous passâmes une semaine à Zatochek, allongés sur des paillasses dans la grange en lisière de la ville. Je ne me souviens de rien entre le moment où je me suis endormie dans la charrette et celui où je me suis réveillée, trois jours plus tard, dans l’odeur chaude et apaisante du foin, avec Kasia à mon chevet qui me nettoyait le visage à l’aide d’un linge humide. L’atroce goût mielleux de l’élixir de purge du Dragon me tapissait la bouche. Quand je trouvai l’énergie nécessaire pour me lever de mon grabat, plus tard dans la matinée, il me fit subir une nouvelle purge et m’imposa de lui en infliger une également.

— La reine ? lui demandai-je, alors que nous tâchions de recouvrer nos forces, sur un banc à l’extérieur.

Nous étions tous deux mous comme des chiffes.

Il me la désigna d’un geste brusque du menton : elle se tenait de l’autre côté de la clairière, paisiblement installée sur une souche, à l’ombre d’un saule. Elle portait encore le joug enchanté, mais quelqu’un lui avait donné une robe blanche, sans la moindre tache ou souillure ; même l’ourlet était immaculé, comme si elle n’avait plus bougé de l’endroit où on l’avait laissée. Son visage magnifique était aussi vide qu’un livre vierge.

— Disons qu’elle est libre, me répondit le Dragon. Est-ce que cela valait le sacrifice de trente hommes ?

Il parla d’un timbre féroce qui me fit me recroqueviller sur moi-même. Je ne voulais plus repenser à cette bataille cauchemardesque, à ce massacre.

— Et les deux soldats ? chuchotai-je.

— Ils survivront, m’assura-t-il. De même que notre cher principicule, qui ne mérite pas cette chance. Le Bois n’avait qu’une faible emprise sur eux. (Il se leva péniblement.) Viens : je les purge petit à petit. Il est l’heure d’une nouvelle séance.

Deux jours plus tard, le prince Marek redevint lui-même à une vitesse qui me rendit jalouse et profondément amère : il se leva de son lit le matin et, à l’heure du dîner, il engloutit un poulet rôti entier et fit de l’exercice. Pour ma part, je peinais à avaler les quelques bouchées de pain que je me forçais à ingérer. Le voir effectuer ses tractions sur une branche d’arbre me donnait d’autant plus l’impression d’être une poupée de chiffon trop souvent lavée et essorée. Tomasz et Oleg, les deux soldats, étaient réveillés également. Je connaissais leur nom, désormais, et me sentais toute honteuse d’ignorer celui de ceux qui nous avaient quittés.

Marek tenta de porter de la nourriture à la reine. Elle se contenta d’observer l’assiette qu’il lui tendit, incapable même de mastiquer les lamelles de viande qu’il lui glissa dans la bouche. Il essaya alors de la bouillie d’avoine, qu’elle ne refusa pas. Elle ne l’aida cependant pas non plus, si bien qu’il dut lui enfoncer la cuiller presque jusque dans la gorge, telle une maman avec son bébé ne sachant pas encore manger seul. Il s’y attela avec détermination, mais, au bout d’une heure, alors qu’elle n’avait dégluti qu’une demi-douzaine de fois, il se leva



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