Des Hommes by Mauvignier Laurent

Auteur:Mauvignier,Laurent [Mauvignier,Laurent]
La langue: eng
Format: epub
Tags: Témoignage
Éditeur: Les éditions de minuit
Publié: 2009-09-02T22:00:00+00:00

Et pourtant, dès le lendemain ce sera le même monde, les matins avec la même mélodie,

Untel ! Au jus !

Comme si cette nuit, ce n’était rien. On fera comme si ce n’était rien.

Ce sera au tour de l’un ou l’autre de se lever pour aller chercher le café aux cuisines. Parfois, c’est son tour, mais le plus souvent non, et alors il fait comme les autres, il grommelle et toute la section avec lui, les vingt-cinq hommes. Des transistors grésillent les premières informations, des voix gueulent pour qu’on éteigne, qu’on baisse le son, et les yeux encore à demi fermés tous vont pisser contre le muret un peu à l’écart, au-dehors.

Aujourd’hui, il écrira à Solange. Comme souvent, pour passer le temps et prendre des nouvelles, dire qu’ici il se gave de saucisson, de café, de confiture.

Il peut écrire ça : ça va.

Il peut aussi demander comment va la famille, ce qui arrive chez eux – il n’ose pas écrire un chez nous trop sentimental et hypocrite et il insiste pour qu’elle lui donne des nouvelles des uns et des autres, qu’elle raconte des détails, des discussions, mais aussi des anecdotes sur la vie dans le bourg et aussi des nouvelles d’autres gars partis comme lui défendre la paix avec des fusils mitrailleurs et des rangers, sauver le pays dont lui n’avait pas vraiment compris qu’il était en danger, vu qu’il ne s’y passe rien et qu’on s’y ennuie à crever.

Et lorsque dans ses lettres il demande des nouvelles, ce n’est pas vraiment parce qu’il veut savoir comment vont les frères et les sœurs – ils dorment toujours dans les chambres à côté de celle des parents, par quatre dans le sens de la largeur du lit, oui, il le sait, et quatre autres dans la pièce du fond, ça fait huit, plus quelques autres qui dorment ailleurs, chez des patrons, dans les fermes et quelques autres encore dans des cercueils pour l’éternité. Et lui, ici, dans un lit en fer avec une couverture gris cendre qui lui sert de dessus-de-lit, et aux pieds duquel on trouve des boîtes de conserve remplies d’eau pour que s’y noie la vermine.

Au moins, il a un lit pour lui tout seul. Il a de la chance, lui répète-t-on. Parce que, ici, les baraquements sont en parpaings, alors que d’autres sont dans des guitounes et les guitounes ça laisse passer les lames de couteaux des fells comme dans du beurre, lui explique-t-on, et les balles encore mieux.

Oui, ici, c’est bien.

Il peut écrire à Solange que pour lui la situation aurait pu être pire. On n’est pas loin d’Oran, il raconte qu’il a revu le cousin Rabut là-bas et que c’est avec lui qu’il a rencontré Mireille, et d’autres gens aussi, Philibert, Gisèle, Jacqueline.

Il raconte que vers huit heures on se réunit et qu’on reste au garde-à-vous le temps de la levée des couleurs. C’est le moment où l’on regarde le drapeau dans le ciel bleu, le moment où l’on essaie de se faire croire qu’on

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