Des femmes dans la mafia by Anne Véron

Auteur:Anne Véron [Véron, Anne]
La langue: ara
Format: epub
Éditeur: Nouveau Monde éditions
Publié: 2015-05-27T16:00:00+00:00

« La ’Ndrangheta est devenue une spécialiste de la construction de bunkers car même s’ils sont en cavale, les chefs doivent rester sur leurs terres, au risque d’être supplantés par une famille rivale. Ils ont donc inventé ces cachettes secrètes implantées sur le territoire, d’où ils donnent leurs ordres et gèrent les affaires », explique Giuseppe Baldessarro, journaliste calabrais. « Il existe des spécialistes surnommés les “bunkeristes” qui ont su développer un véritable savoir-faire dans la construction : ordinateurs, télévisions, eau, électricité, les bunkers sont tous très bien équipés. Ils sont l’emblème de ce qu’est l’organisation calabraise : d’un côté l’histoire, la tradition, le lien avec le territoire, de l’autre la haute technologie. La ’Ndrangheta, c’est ça : le mélange d’une culture ancienne, très liée aux traditions et à la terre où elle s’est développée, et une capacité entrepreneuriale impressionnante142. »

Toujours grâce à Giusy, les enquêteurs ont saisi les biens de la famille, dont le symbole de leur pouvoir, la grande villa qui surplombe la ville de Rosarno. Kitsch et dorures à profusion, la demeure de Scarface version calabraise.

La jeune femme explique : « La famille Pesce est celle qui dirige de façon absolue tout ce qui se passe à Rosarno : si un magasin ouvre, cela doit convenir au clan. S’il y a une dispute, un homicide, tout doit être rapporté au chef du clan Pesce. » À chaque interrogatoire, elle va plus loin et fournit des informations plus précises : « Mon frère était uni à la famille Palaia pour les trafics de drogue et les braquages. Avec Gaetano Palaia, c’était le trafic d’armes : ils parlaient de pistolets, de mitraillettes et de fusils. »

Son témoignage est capital, tant sur le plan judiciaire que symbolique : c’est une femme, dont le nom est le même que celui du boss historique de la famille, Don Peppino, qui est en train de dénoncer son clan. Et son message est clair : il existe une autre vie en dehors de la Mafia.

Une idée confirmée par le procureur adjoint de Rome, Michele Prestipino : « La collaboration de Giusy Pesce est importante pour plusieurs raisons : d’abord, parce qu’elle porte un nom illustre de l’organisation, celui des Pesce, ce qui a de lourdes conséquences sur la crédibilité de la famille car c’est un signe de vulnérabilité. Ensuite, Giusy Pesce est une femme. Or, la collaboration d’une femme a quelque chose de plus que celle d’un homme car il faut penser au rôle qu’elle joue dans l’organisation mafieuse et au sein des familles. C’est un rôle très important, qu’on ne voit pas le plus souvent, mais qui est fondamental pour la conservation et la transmission du pouvoir criminel : les femmes sont les gardiennes des règles. Au-delà de toutes les informations que Giusy Pesce a fournies à la justice, le plus grand dommage qu’elle inflige à l’organisation, c’est de montrer aux femmes qu’il existe une autre voie, qu’il est possible de sortir de ce système et de se construire pour elles et leurs enfants une nouvelle vie.

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