Des camions de tendresse by Françoise Rey

Des camions de tendresse by Françoise Rey

Auteur:Françoise Rey [Rey, Françoise]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Erotisme
Publié: 2011-05-14T11:05:21+00:00


CHAPITRE XII

Le lendemain, je descends vers dix heures pour trouver Marc, seul en bas, occupé à se couper les ongles des pieds, assis en tailleur sur le canapé. Il ne m’a pas entendue, une partition enragée rebondit férocement entre les murs de la maison, occupe tout l’espace sonore, pousse même les vitres d’une épaule vigoureuse qui les fait trembler. J’observe un moment son beau profil sérieux, l’arête parfaite de son nez court et large, l’épaisseur émouvante de sa lèvre bien ourlée, l’arrondi de son menton au-dessus du cou puissant, où brille la chaîne qu’il ne quitte jamais… Il fait gris dehors, une petite pluie têtue est tombée toute la nuit, et ce matin les montagnes suisses reculent et se fondent derrière un uniforme brouillard gris emperlé d’humidité. Marc a allumé une lampe pour éclairer sa besogne. Un rayon rose joue sur ses mains, ses pieds nus hors du sempiternel jean. Un tee-shirt noir dessine, lorsqu’il se penche, les muscles de son dos…

Pour signaler ma présence, je suis obligée d’aller m’accroupir devant lui. Je hurle :

— Bonjour !

Il m’aperçoit, hoche la tête, puis se remet à fixer l’ongle de son gros orteil, qui semble requérir une attention très soutenue. Je propose, toujours en m’égosillant :

— Tu veux un café ?

Il refuse, d’un signe. Il me fait la gueule, ou quoi ? Je passe à la cuisine, en reviens avec une tasse fumante, reprends ma place devant lui, sur le tapis, et clame :

— Tu me fais la gueule ?

Ah ! l’amorce d’un sourire ! Tout de même ! Il avance les lèvres dans une moue qui signifie « mais non, qu’est-ce que tu vas chercher ?… ». Puis prononce une phrase inaudible, une phrase qui semble beaucoup l’amuser. Je m’approche, tends ostensiblement l’oreille. Il répète. Je ne saisis que quelques bribes : « Hier… Tristan. » Je m’impatiente :

— On ne pourrait pas baisser la musique, pour une fois ?

La requête l’étonne. Il hausse des épaules indifférentes, pour dire « si tu y tiens… ». Je monte quatre à quatre, éteins carrément l’appareil, reviens à ma place.

— Qu’est-ce que tu disais ?

Il émet un petit rire.

— Je disais qu’hier, tu as sidéré Tristan…

J’avale une gorgée de café pour l’encourager à poursuivre. Il ne se hâte pas. J’entends le petit claquement métallique de la pince à ongles. Ces menus bruits, dont je suis la plupart du temps privée à cause de leur satanée musique, revêtent, quand je les perçois, une extraordinaire importance. La pluie chuinte dehors, sur le feuillage des tilleuls. Au bout de trois bonnes minutes, Marc poursuit :

— Tu l’as laissé comme deux ronds de flan…

Il rit encore, silencieusement. Je demande :

— Où il est, Tristan ?

— Chez sa mère, avec Arthur.

— Il m’en veut ?

— C’est à lui qu’il en veut. Il se sent coupable.

— Coupable ? Mais vis-à-vis de qui ?

— De toi.

La réponse m’ébahit. Ça, c’est le comble ! Coupable vis-à-vis de moi ! Mais comment me considère-t-il, à la fin ? Comme une enfant ? Une



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