De si braves garçons by Patrick Modiano

De si braves garçons by Patrick Modiano

Auteur:Patrick Modiano [Modiano, Patrick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Litt. française
Publié: 1982-07-30T22:00:00+00:00


VIII

Chaque année, au mois de juin, un dimanche, la fête du collège réunissait les parents et les amis. On l’appelait la « Fête des Sports », et ces deux mots, à eux seuls, indiquent l’esprit particulier à notre école où le sport primait tout. Sur l’écusson bleu à triangle d’or, cousu à nos blazers, le mot : SPORTS était écrit, à la base du triangle, tel une devise ou un impératif.

Kovnovitzine triomphait ces dimanches-là. Je le revois, tête haute, en chemise Lacoste, espadrilles et pantalons blancs, qui présidait à l’ordonnance de la cérémonie comme jadis le marquis de Cuevas au déroulement de ses ballets. Choura, son labrador, avait la permission exceptionnelle de se promener sans collier. Et nous, les élèves, nous rivalisions de prouesses : courses de cent mètres, exercices athlétiques, parcours chronométré de la piste Hébert, épreuve de saut à la perche. La fête se terminait, au crépuscule, par un match de hockey, que Pedro arbitrait lui-même.

Les vedettes de cette journée étaient, sans conteste, les sauteurs à la perche. Le meilleur recevait une coupe de la main de Kovnovitzine. Mais, cette année-là, je prêtais beaucoup moins d’attention aux exploits de mes camarades, qu’à Martine, la sœur d’Yvon.

Elle était allongée en maillot de bain, sur l’herbe, au bord de la piscine. Les héros du jour l’entouraient : nos aînés, Christian Winegrain et Bourdon, grands vainqueurs de l’épreuve de saut à la perche, Philippe Yotlande, Mc Fowles, Charell, d’autres encore… À tous, Yvon avait présenté sa sœur et se tenait à ses côtés, timide et grave, comme un interprète ou un écuyer. Et fier du succès que remportait Martine.

Et moi aussi, à observer la manière dont ils s’efforçaient de briller auprès d’elle, j’éprouvais une certaine fierté. Aucune fille, j’en étais convaincu, n’avait cette chevelure auburn, ces yeux clairs, ce nez un peu retroussé au bout, ces cuisses longues et ce mouvement gracieux du buste pour se tourner et allumer une cigarette au briquet que lui tendait Winegrain. C’était mon amie d’enfance.

Son frère et elle habitaient au village, rue du Docteur-Dordaine une maison à la façade recouverte de lierre, et Yvon fréquentait le collège en qualité de demi-pensionnaire. Nous l’enviions de rentrer chaque soir chez lui. Son père exerçait le métier de pépiniériste. Dans les serres, derrière la maison, avaient lieu jadis nos parties de cache-cache : j’avais habité ce village pendant trois ans et connu Yvon et sa sœur à l’école Jeanne-d’Arc. Yvon, elle et moi nous avions le même âge à l’époque – neuf ou dix ans –, mais il me semblait qu’en ce temps-là Martine était aussi grande que maintenant, au bord de cette piscine. C’était elle qui nous préparait nos goûters et nous emmenait nous promener en forêt jusqu’au hameau des Metz, elle qui décidait des parties de cache-cache ou de cerf-volant.

Mon seul avantage sur les autres était d’avoir connu Martine bien avant eux.

En son honneur, Winegrain et Bourdon se livraient à des plongeons de plus en plus spectaculaires, le premier au saut de l’ange, le second au saut carpé après avoir marché sur les mains jusqu’au bord de la piscine.



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