de l'Egypte by Dictionnaire

Auteur:Dictionnaire [Dictionnaire]
La langue: fra
Format: epub
Tags: dictionnaire
Éditeur: Plon
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

Je finis par ne me rendre à Faraskour que le jour de l’audience, c’est-à-dire une fois par semaine seulement. Les préposés au tribunal et au Parquet en étaient ravis. Leurs visites à Ras-el-Bar se multipliaient, sous prétexte de soumettre à « Mon Honneur » les dossiers des procès. Il n’y avait donc plus d’obstacles, en dehors des constats de flagrant délit, c’est-à-dire des instructions où je devais interroger les inculpés, à ce que je jouisse pleinement de l’été en demeurant tout le temps à Ras-el-Bar. Je finis par faire venir également ces derniers à Ras-el-Bar pour l’interrogatoire, et ils arrivaient escortés de leurs gardiens, heureux de respirer l’air de la mer. Le bruit courut parmi les prisonniers, les gardiens et les membres de la police judiciaire, que le substitut convoquait les « prisonniers » au centre de villégiature. On en parla beaucoup, et ces prisonniers se mirent à se disputer la visite à Ras-el-Bar… Les demandes d’interrogatoire se multiplièrent à un tel point que j’ouvrais l’œil le matin pour voir une longue file de détenus attachés par des cordes et conduits par une colonne de soldats. A peine sortais-je de ma « paillotte », c’est-à-dire de ma chambre, avec mon essuie-main, mon maillot de bain et mon peignoir, sur le bras, que j’étais accueilli par l’imposant salut militaire que me rendaient soldats et prisonniers, vivifiés par l’air de la mer, pleins de verve, le visage épanoui, rayonnant de joie. Je disais alors aux soldats :

— Qu’est-ce que c’est que tous ces gens-là ? Prenez garde qu’ils ne s’évadent. Faites attention !

Mais aussitôt j’entendais une voix s’élevant des rangs des prisonniers attachés à la corde de chanvre :

— Nous évader ? Et pourquoi donc ? Que Dieu vous protège, mon bey ! Quelqu’un voudrait-il s’évader du paradis ?

(…) Ce comportement humanitaire de la part de « Son honneur » le substitut eut pour effet une aggravation alarmante du taux de la criminalité pendant la durée de mon mandat. Les habitants du markaz se jetèrent la tête la première dans des rixes, cognant, se frappant, s’insultant, dans leur frénésie de se constituer prisonniers et d’aller en villégiature aux frais de l’Etat. Et pour la première fois les élargissements que j’ordonnais étaient accueillis par des protestations indignées, et l’impartialité du Parquet était mise en cause. Je ne disais plus aux gardiens : « Relâchez cet inculpé ! » sans que celui-ci, remplissant ses poumons de l’air de Ras-el-Bar, ne poussât de hauts cris : « Ce n’est pas juste, mon bey ! Ce n’est que ce matin que j’ai été arrêté ! »

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