De l'autre côté de la haie by E. M. Forster

Auteur:E. M. Forster [Forster, E. M.]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2-264-02422-4

DEUXIÈME PARTIE

L’APPAREIL DE RÉPARATION

Empruntant un vestibule, un ascenseur, une navette tubulaire, une plate-forme, une porte coulissante – reproduisant en sens inverse les étapes de son voyage aller, Vashti arriva chez son fils, dans une pièce qui ressemblait exactement à la sienne. Elle aurait pu en toute légitimité décréter que cette visite était superflue. Les boutons, les interrupteurs, le pupitre avec le Livre, la température, l’atmosphère, l’éclairage : tout était exactement pareil. Et si Kuno lui-même, la chair de sa chair, se tenait enfin tout à côté d’elle, quel avantage y avait-il à cela ? Elle était trop bien élévée pour lui serrer la main.

Détournant le regard, elle prononça le discours suivant :

« Me voici. J’ai fait un voyage absolument épouvantable qui a considérablement retardé le développement de mon âme. Cela n’en vaut pas la peine, Kuno, cela n’en vaut pas la peine. Mon temps est trop précieux. La lumière du soleil a failli me toucher, et j’ai dû côtoyer les gens les plus grossiers. Je ne peux rester que quelques minutes. Dis ce que tu as à dire, et puis il faudra que je reparte.

— On m’a menacé de Bannissement », déclara Kuno.

Elle le regardait, désormais.

« On m’a menacé de Bannissement, et je ne pouvais pas te dire une chose pareille par la Machine. »

Le Bannissement signifiait la mort. Le condamné est exposé à l’air naturel, ce qui le tue.

« J’ai été à l’extérieur depuis la dernière fois que je t’ai parlé. La chose énorme est arrivée et ils m’ont découvert.

— Mais pourquoi ne devrais-tu pas aller dehors ? s’exclama-t-elle. C’est parfaitement légal, parfaitement mécanique, de visiter la surface de la terre. J’ai récemment assisté à une conférence sur la mer ; il n’y a pas d’objection à cela ; il suffit de réclamer un respirateur et de se procurer un permis de Sortie. Ce n’est pas le genre de chose que font les intellectuels, je t’avais d’ailleurs supplié de ne pas le faire, mais il ; n’y a pas d’objection légale à cela.

— Je ne me suis pas procuré de permis de Sortie.

— Alors comment as-tu fait pour sortir ?

— J’ai trouvé un chemin à moi. »

L’expression était pour elle totalement dénuée de sens, et il dut la répéter.

« Un chemin à toi ? murmura-t-elle. Mais c’est certainement mal.

— Tu commences à vénérer la Machine, dit-il d’un ton froid. Tu trouves qu’il est irréligieux de ma part d’avoir découvert un chemin par moi-même. C’est précisément ce qu’a pensé la Commission quand elle m’a menacé de Bannissement. »

Là, elle se mit en colère. « Je ne vénère rien ! s’écria-t-elle. Je suis extrêmement évoluée. Je ne te trouve pas irréligieux, car il n’existe plus de religion. Toutes les peurs et toutes les superstitions qui avaient cours jadis ont été détruites par la Machine. Je voulais seulement dire que découvrir un chemin par toi-même était… Du reste, il n’existe pas de nouvelle issue.

— C’est ce qu’on croit toujours.

— Hormis par les orifices spéciaux, qui nécessitent un permis de Sortie, il est impossible de sortir.

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