de la Télévision by Dictionnaire

de la Télévision by Dictionnaire

Auteur:Dictionnaire [Dictionnaire]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2259212220
Éditeur: Plon
Publié: 2010-12-31T23:00:00+00:00


Lectures (pour tous)

Les budgets étaient modestes, nous n’étions pas dans le clinquant, la sobriété leur était imposée, on n’imaginait même pas qu’il pût y avoir un jour cette débauche de décors tracés au laser dans le seul but d’endormir les conversations. Les journalistes étaient aux commandes dans des lieux à tendance minimaliste. « Lectures pour tous », au départ, n’avait pour tout environnement qu’une pauvre table et des chaises de bistrot. Max-Pol Fouchet, le chroniqueur-poète, s’en contentait : « La pauvreté, disait-il, enrichit l’échange. » Cette émission littéraire fut un premier choc télévisuel à mon retour d’Asie. Je découvrais un monde nouveau, celui des images sur petit écran, des confrères en chambre, j’entendais des bruits différents, les mots qui remplaçaient les armes étaient également assassins. Voyageurs impénitents de cette balade singulière dans la forêt des livres, Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet, deux fiers lascars, jouaient de leur tempérament de philosophes, de leur veine polémique pour passer au crible écrivains et essayistes. Fumeurs de pipe, ils glissaient le feu dans chaque entretien. Leur insolence n’était que courtoisie. François Mauriac estimait qu’ils étaient des diables. D’autres, qui furent mes invités, les redoutaient et les égratignaient à la sortie du studio. Henri de Montherlant s’affirmait le plus virulent : « Ces deux-là, me disait-il, souffrent vraisemblablement de n’avoir rien écrit. Ils ont des secousses de jaloux mais un vrai talent : ils savent lire. Desgraupes est plutôt bougon, Dumayet a un côté Robespierre, c’est un étrange accouplement. » Jean Cocteau s’en amusait : « Ils me prennent pour un dilettante, prétendent que je suis un mondain qui publie des bluettes, ironisent sur mes relations. Je suis persuadé qu’ils sont à l’origine de cette expression qui m’a fait du tort : Un cocktail… des Cocteau. J’admets toutefois qu’ils nous sont nécessaires. » Les plus grands, de Prévert à Aragon, leur vouaient une véritable admiration : « Ils nous ont permis d’exister. »

Pour me convaincre de leur art particulier, j’ai revu une dizaine d’épisodes de ces « Lectures pour tous » qui signent leur empreinte. Il y a dans le noir et blanc de l’époque, celle des années 1960, un climat, une fraîcheur, une musique des phrases qui n’est jamais assourdissante. Les vacheries viennent à bouche cousue, comme des confidences. Les appelés des deux Pierre sont en apprentissage, confrontés à leur propre image, ce qui est nouveau : grands auteurs, célébrés dans les cénacles littéraires, ils ne savent rien des dangers de la télévision, n’en devinent pas les pièges. On les sent plus soucieux de ne pas déplaire aux caméras que de promouvoir leur œuvre. Céline se montre délivré de toute contrainte, sûr de lui, les Jouhandeau mettent en scène leurs désaccords, Paul Morand exprime ses inquiétudes de piéton encore en miettes, Roland Barthes parle plus volontiers des cigares que des Mythologies.

Impassibles, redoutables, peu souriants, faussement aimables, Desgraupes et Dumayet mènent la danse des mots et touchent à fleurets mouchetés. Personne n’échappe à leur épatante curiosité. Leur sacerdoce durera une quinzaine d’années, 1968 leur sera fatal.



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