De la guerre en philosophie by Lévy Bernard-Henri

De la guerre en philosophie by Lévy Bernard-Henri

Auteur:Lévy, Bernard-Henri [Lévy, Bernard-Henri]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, France, Philosophie
Éditeur: La Gang™
Publié: 2010-04-25T22:00:00+00:00


Et puis il y a, encore, une dernière question. Considérons réglées les questions de savoir comment on lit, si on cite ou si on ne cite pas, quel genre de fragments et de textes on cite en priorité, etc. L’autre question, la dernière, peut-être la plus importante, est celle de l’âge de ces fragments – au sens où l’on parle de l’âge d’une couche géologique, d’un fossile ou d’une météorite. Et, là, je vais introduire une dernière proposition.

Mettons bout à bout mon indifférence à dialoguer philosophiquement avec quiconque (je ne le fais jamais, je ne discute jamais philosophie, y compris avec ceux de mes contemporains qui auraient beaucoup à m’enseigner) et, de l’autre côté, toute cette matière éparse, venue de la plus ancienne Antiquité comme des écrivains que j’admire, et dont je m’aperçois que je la laisse agir en moi, que j’en accueille le rayonnement, de manière indifférente et, si j’ose dire, à égalité.

Apparaît alors une autre caractéristique de ce mode de philosopher qui est le mien et qui consiste à considérer que Spinoza ou Duns Scot sont mes contemporains à l’égal de Soljenitsyne ou Levinas ; qu’on parle avec Fichte, Feuerbach, l’abbé Mersenne ou Gassendi aussi souvent, et directement, qu’avec le journaliste machin ou le chroniqueur bidule ; et cela pour deux raisons.

Premièrement, parce que nous sommes entourés de bien plus de morts que de vivants ; je ne parle pas des vrais morts ; je ne parle pas des morts selon Auguste Comte dans la sentence fameuse sur l’humanité qui est composée de plus de morts que de vivants ; non ; je parle des morts qui se croient vivants ; des vivants qui ne savent pas qu’ils sont morts ; je parle du cycliste d’Alfred Jarry qui continue de pédaler alors qu’il est mort depuis longtemps ; je parle de Socrate s’exclamant devant Gorgias : « qui sait si vivre n’est pas mourir et si mourir n’est pas vivre » ; je parle de cette nuit des morts vivants, de ce théâtre de spectres émetteurs de vagues murmures, de cette assemblée d’incubes, succubes et autres larves, qui est le vrai milieu où nous nous agitons et qui constitue, en particulier, la société littéraire et philosophique.

Alors que, deuxièmement, et à l’inverse, les morts… Ah les morts ! C’est le contraire, les morts ! Bien plus vivants que bien des vivants ! Bien vivants quand, à travers un grand texte, ils se remettent à nous parler ! Ces morts, ou ces textes, sont comme ces boules de feu, enfoncées loin dans les entrailles de la terre, dont Aristote croyait qu’elles chauffent encore sa surface. Ou comme ces voix qui se sont tues et dont Walter Benjamin dit qu’elles continuent de dégager une « brise » infime et qui nous frôle. En philosophie, on ne meurt jamais. Un philosophe n’est jamais mort ou vivant. Le partage vie/mort n’est pas un partage pertinent du point de vue philosophique. La philosophie n’a pas d’âge. Ses textes n’ont pas d’histoire. Ou plutôt si, ils en ont une.



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