De chez nous by Authier

De chez nous by Authier

Auteur:Authier [Christian Authier]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 2014-07-14T16:00:00+00:00


Nous bûmes sans modération ce 18 juin 2010. Les magnums se succédaient sur la table, les verres se vidaient, les bouteilles étaient priées de convoquer leur petite sœur. Les têtes tournaient et les idées devenaient heureuses. Beaucoup boivent pour oublier, je bois pour me souvenir. De la vie d’avant, qui semblait légère et tendre, ouverte à des promesses un peu folâtres. De la douceur des choses et des étranges peines lorsqu’elles mordent pour la première fois nos peaux pas encore endurcies. Je bois pour me souvenir de ceux avec qui j’ai trinqué et qui ne sont plus là. Des murs de silence nous séparent désormais quand ce ne sont pas d’autres frontières encore plus infranchissables. Ce sont amis et amours que vent emporte. Rien de plus émouvant que les premières et les dernières fois. Une première fois ne s’oublie pas. La dernière fois, on ne s’en rend compte, en général, que bien après. Lorsqu’il est trop tard, quand les gestes et les mots retenus font retentir la musique déchirante de ce qui ne reviendra plus.

Je me souviens donc de la première fois où j’ai bu un vin d’Éric Callcut. Sébastien venait présenter l’un de ses livres à la librairie Privat de Toulouse. Au déjeuner, nous avions bu avec Isabelle sur une terrasse de la place Saint-Georges un charmant jurançon de Charles Hours. Le soleil tombait dans nos verres, il était 15 heures et Sébastien voulut déguster quelques bouteilles afin de se mettre en jambes pour le débat de 18 heures. Je lui proposai donc de nous rendre chez un caviste situé à côté de mon journal. Sébastien fureta, jeta son dévolu sur un rouge du Domaine des Griottes et un autre de Patrick Baudouin. Bifurquant dans le rayonnage des vins blancs, il eut comme une révélation. Je le trouvai à l’arrêt avec un sourire de galopin mijotant une farce. L’objet de sa fixation : trois bouteilles qui semblaient l’attendre. Sur les étiquettes d’un vieux papier défraîchi, une écriture enfantine et colorée mentionnait « The Picrate », manière d’appellation non contrôlée installée à Chanzeaux, en Maine-et-Loire, encadré par deux expressions : « Les pieds sur terre » et « La tête au ciel ». Bon programme. On pouvait lire encore sur les bouteilles le nom du vigneron : Éric Callcut. Une cire jaune, orange ou verte ornait les bouchons cernés d’une petite étiquette double page accrochée par un morceau de ficelle. Nous embarquâmes un blanc et un rosé presque aussi clair que le blanc. Cela respirait le produit de contrebande, le bizarre. Les bouteilles étaient troublardes, chargées de dépôts. La suite ne démentit pas l’intuition. Au cœur de la nuit, nous dégustâmes les flacons dans des gobelets en plastique qui n’arrivaient pas à banaliser un blanc sec de 1996, pur chenin dégageant des arômes de noix, d’amande, mais aussi de coing, magnifiés par la profondeur de notes oxydatives qui en faisaient un vin à la fois onctueux et tranchant où le fruit était tenu par l’acidité. Le rosé sec nous plongea dans des abîmes de perplexité ravie.



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