Dans Tes Pas by Guillaume de Fonclare
Auteur:Guillaume de Fonclare [de Fonclare, Guillaume]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 2013-01-30T05:00:00+00:00
Tu as voulu ce matin que nous retournions à Marseille. J’ai protesté, puis j’ai fini par céder ; tu as le dernier mot en tout, désormais. Du carrefour d’en haut, nous sommes passé par Plombières et la Belle de Mai plutôt que par Belsunce. Je le connais par cœur, ce chemin, je l’ai fait mille fois ; Cinq-Avenues et la Conception, pour atteindre les plages du côté de Borély, ou bien Luminy et l’école de commerce. Mais toi, tu es de La Plaine, de la place Jean-Jaurès, de ce Marseille qui n’est pas de la mer, et qui toise d’en haut les soubresauts de la ville basse, pestant tout bas contre l’accent des quartiers et l’arrogance du Prado. La Plaine, c’est le populaire qui guigne vers le haut, qui conspue la petite-bourgeoisie en rêvant d’en être. Las de tes mauvais résultats scolaires, tes parents t’ont envoyé en pension dans un lycée privé de La Plaine, à cinquante kilomètres de chez toi. Cette expérience marseillaise t’a bouleversé, elle t’a transformé tant et si bien que tu étais marseillais plus que tout autre chose. Des hauteurs de Marseilleveyre à la Madrague de Montredon, des Arnavaux à la Corniche, et le Vieux-Port, et l’Estaque, tu avais Marseille dans le sang, et dans ton exil parisien, tu n’avais que ce nom-là à la bouche. Ton accent était ton étendard, et même si tu savais en gommer les aspérités gouailleuses, tu n’avais pas plus grand plaisir que de l’étaler au grand soleil, en émaillant ta conversation de jurons du Midi et d’éclats de voix.
Moi, je suis d’Aix-en-Provence, côté cours Mirabeau et quartier Mazarin ; je suis de ces Provençaux que Marseille effraye par sa démesure, et qui s’inquiètent de ses incartades tumultueuses. Pas plus que toi tu n’étais de Marseille, je n’étais d’Aix-en-Provence, mais comme toi, j’avais trouvé un port d’attache. Aujourd’hui encore, après quinze ans de séparation, je continue d’aimer Aix sans mesure, bien que la ville de mes pensées n’existe plus ; elle a disparu le jour où j’ai mis les voiles vers un ailleurs qui est devenu chez moi. Toi, tu n’as pas quitté Marseille, et si tu avais eu la certitude d’y revenir, tu aurais accepté quinze ans de pénitence sur la banquise.
À Marseille, c’est vrai que tu es chez toi partout ; je t’ai vu cours Estienne-d’Orves, rue Paradis et à Sainte-Marguerite. À Marseille, tu ne cesses de me houspiller sur la beauté des choses ; je t’entends rire dans les rires des cafés de la Corniche, et ta silhouette sèche et noueuse est partout aux passants du Vieux-Port.
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