Dans L’œil De L'ange by Japp Andrea H

Dans L’œil De L'ange by Japp Andrea H

Auteur:Japp, Andrea H. [Japp, Andrea H.]
La langue: fra
Format: epub
Tags: psychologie & relations humaines, policier, Lang:fr, gloria parker-simmons
Éditeur: édition du Masque n° 17085
Publié: 2012-04-13T05:45:34+00:00


Fredericksburgh, Virginie, 14 janvier

Cagney fixa les gouttelettes d’eau saturée d’amidon qui s’écoulaient de la passoire. Il mangeait des tagliatelles au basilic depuis le début de la semaine. Il grimaça en songeant qu’il devrait faire un effort et opter pour quelque chose de vraiment révolutionnaire comme des spaghettis carbonara ou du riz.

Gloria n’aimait pas le fromage. Elle avait précisé « l’odeur du fromage ». Ce détail n’avait pas étonné Cagney, même s’il l’avait consterné. L’odeur du fromage évoque pour certains les odeurs corporelles, les odeurs de l’existence physique de l’autre.

Il avait adoré lui préparer les mêmes tagliatelles, quelques mois auparavant, à San Francisco. Elle avait chanté Carmen, terriblement faux, et massacré « parle-moi de ma mère » en interprétant tour à tour Don José et Micaëla. Elle avait éclaté de rire parce qu’elle était saoule, et avoué : « Je vous concède que je n’arrive pas encore tout à fait à la hauteur de Teresa Berganza, mais je ne désespère pas. » Cagney avait découvert le bonheur des gestes quotidiens, lui qui les redoutait parce qu’ils lui rappelaient l’ennui de son mariage. Et puis cette nuit-là, il avait voulu savoir, rentrer derrière le grand front pâle. Il avait voulu descendre dans ce regard auquel l’alcool rendait un certain calme. Et il s’était fait jeter, sans appel. Lorsqu’il l’avait arrachée au corps lourd de l’homme qu’elle venait d’abattre dans ce parking souterrain, elle hurlait. Il l’avait plaquée contre lui, maculant sa chemise du sang presque coagulé qui couvrait le devant de son tee-shirt. Il grelottait encore de trouille, parce que lorsqu’il avait dévalé les marches et entendu les détonations, il avait cru qu’elle s’était abandonnée au sacrifice. Un million de pensées s’étaient télescopées dans sa tête, en quelques secondes, le temps nécessaire pour sauter cinq marches et foncer dans un couloir. L’idée qu’il ne savait pas comment il tiendrait sa propre vie ensuite, l’idée qu’il avait eu tort d’essayer d’envahir ce qu’elle cachait, ce qui la terrorisait, l’idée qu’il allait exploser le mec qui se trouvait avec son corps dans cette salle de combats clandestins.

Il secoua la passoire et versa son contenu dans une assiette. Merde, il avait la flemme de rajouter un morceau de beurre ou du basilic. Il se servit un verre de chianti et revint au salon.

Il était 5 heures à San Francisco. Le soir devait fraîchir. Les nuits tombent très vite en Californie, surtout en hiver. Elle était sans doute encore à Little Bend, ou sur le chemin du retour. Une étrange émotion le fit déglutir lorsqu’il se remémora le sourire humide et hésitant de Clare, ses éclats de rire lorsqu’elle courait après un écureuil. Gloria, un jour de tempête, comme ils en avaient tant essuyé entre eux, lui avait lancé d’un ton sarcastique : « Attention, Mr Cagney, vous allez devenir sentimental. C’est une maladie incurable. » Il avait répondu : « Oui, comme la vie. » Cagney s’était rendu compte sur le tard qu’il avait toujours été sentimental, mais qu’il n’avait jamais eu besoin, jusque-là, de s’en préoccuper.



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