Dans l'œil du soleil by Deni Ellis Béchard

Auteur:Deni Ellis Béchard [Bechard, Deni Ellis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-12-16T12:42:26.342000-04:00 JF
Éditeur: Alto
Publié: 2016-10-19T03:00:00+00:00

JUSTIN

Justin se réveilla en sursaut. Tout ce qu’il se rappelait, c’était la lumière. Cela n’avait rien de mystique. C’était l’empreinte de sa blessure, l’éclair, la tache de couleur : phosphènes, sang pulsant dans l’œil. Il y avait des années que ça n’était pas arrivé, mais il faisait jadis souvent ce cauchemar, qui le portait à remettre sa foi en question : les rêves ne filtraient pas à partir du divin mais ils étaient des souvenirs de la douleur, comme les blessures aux muscles et aux os, qui laissent des traces.

Les éléments de la chaufferette éclairaient le lit. Il était étendu sur le bord, aussi près de la chaleur que possible, vêtu de son manteau, enveloppé dans des couvertures, les mains entre les cuisses.

Après avoir perdu son œil, pendant un an, il ne voulait que dormir. Il avait retardé son entrée à l’université, et quand il se forçait à sortir, il ne s’éloignait pas de chez lui, étudiant les environs, essayant de se rappeler où se trouvaient les choses, trébuchant souvent sur ce qu’il n’avait pas réussi à voir. La douleur de l’œil fantôme exacerbait la rage qu’il éprouvait à l’idée que d’autres étaient en train de livrer ses guerres.

Il avait souvent examiné l’œil qui lui restait en imaginant la trajectoire du plomb en acier traversant la cornée, l’humeur aqueuse et le cristallin transparents, perçant l’humeur vitrée et la rétine. Les herbivores, dont les yeux se trouvaient sur le côté de la tête, avaient un champ de vision de près de trois cent soixante degrés qui leur permettait de détecter les prédateurs ; ces derniers, avec leurs yeux à l’avant, jouissaient d’une vision binoculaire associée à une perception de profondeur grâce à laquelle ils pouvaient s’approcher de leurs proies. Justin n’était plus un chasseur. Il était même incapable de regarder à l’intérieur de la cavité de chair quand il nettoyait sa prothèse.

Après avoir été blessé, il avait rêvé régulièrement de la lumière pendant plus d’un an — et puis sporadiquement, une fois ou deux par mois. Un matin, il s’était réveillé en sursaut en pensant à Judas et au pouvoir qu’avait la trahison de révéler une vérité : deux gamins dans une forêt, pris dans un concours égoïste et qui, par leur péché, se projetaient l’un l’autre sur leurs chemins respectifs. Il était au collège à l’époque, et il se rendait à la chapelle et jurait de purifier sa blessure par la foi.

Le rêve l’avait quitté après cela. Il avait excellé dans ses études, travaillé avec zèle et discipline. Il s’était aventuré de plus en plus dehors, se débarrassant graduellement de sa peur.

Maintenant, le rêve était revenu. Du songe, il gardait le souvenir de Clay, mettant en joue dans la nuit et, mystérieusement, ça semblait aussi être Idris.

La faible lueur de la chaufferette réchauffait les paupières de Justin. Un souvenir le taraudait, une impression qu’il avait eue au restaurant. Quand il était sorti de la salle de bains et qu’il avait vu Clay et Idris au bar, la distance entre eux avait paru artificielle, comme s’ils s’étaient forcés à détourner les yeux.

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