Dans la tourbe by Claude Amoz

Dans la tourbe by Claude Amoz

Auteur:Claude Amoz [Amoz, Claude]
La langue: fra
Format: epub
Tags: policier
Éditeur: J'ai lu
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


*

Christophe repose le téléphone. C’était son père, une fois de plus. La mention des Roches Sourdes a réveillé le deuil d’autrefois ; le vieil homme ne cesse de l’appeler pour évoquer, interminablement, l’image de la disparue.

— Tu te souviens ? Son énergie fébrile, son souci de ne pas perdre un instant ! Comme si, chaque jour, elle devait prouver qu’elle méritait une place sur la terre…

Une impression que Christophe éprouve souvent, lui aussi. Celle d’être un intrus qui n’a pas le droit d’être là. Mais qu’a-t-il fait de mal ? Et sa mère, pourquoi ?

— L’intransigeance de ses engagements politiques…

La mère de Christophe était communiste. Une militante acharnée, fanatique, qui passait des heures à manifester, à soutenir des grèves. Tout cela prenait sur leur vie de famille. Elle rentrait à la maison exténuée, déjà tendue vers la lutte du jour suivant. Impossible de lui parler sans la surprendre en train de guetter furtivement l’heure, le regard coupable, comme si elle gaspillait des minutes auxquelles elle n’avait pas droit, comme si elle les volait.

Marcelle se dirige vers l’escalier. Elle le frôle au passage.

— Je sais que j’aurai encore une nuit effroyable, avec mes palpitations. Vous passerez me voir, Christophe ?

— Je ne suis pas de garde cette nuit, c’est le tour de la sœur.

— Mais c’est vous que je veux ! Et vous aussi, je le sais, vous avez besoin d’être consolé. Quand on est malheureux en ménage…

Christophe la regarde avec stupeur. Elle croit qu’il l’encourage. Elle lance des soupirs, des œillades.

— Vous vous demandez comment je sais ?

Elle bat des cils d’un air entendu… Heureusement, la sœur descend l’escalier et il en profite pour s’échapper.

Dès qu’il est dans sa chambre, il s’affale sur le lit. Les paroles de Marcelle ont éveillé en lui une nostalgie, un besoin d’être consolé, comme elle disait. Il est trop seul, ces vieillards sont lassants, Claire est loin, et le passé est hors d’atteinte. Sa mère est morte depuis longtemps. Il a cru la reconnaître sur une des photos du salon, mais on la distingue à peine, au dernier rang, derrière une fille massive, qui la cache presque entièrement. Et il n’a pas retrouvé Yolande. C’est un rendez-vous raté qui l’a ramené dans ce pays.

Il repousse les deux lettres, celle du pauvre Paul, qu’il n’a pas lue jusqu’au bout, et celle de Claire. Ses idées sont de plus en plus confuses, et tout se mêle, les figures, les noms. Il ne reste qu’une silhouette triste, qui détourne le visage. Et c’est comme dans le film : une femme dont chacun parle mais qu’on ne montre pas. Une femme qui n’est pas là. Yolande, ou peut-être sa mère. Une femme dont l’image s’est perdue. Et lui, Christophe, il en sait encore moins que les autres spectateurs, il a quitté la pièce avant la fin de l’histoire, il restera dans l’ignorance.



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