Dakota Blues (French Edition) by Jean-Christophe Giesbert

Auteur:Jean-Christophe Giesbert [Giesbert, Jean-Christophe]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2014-07-07T22:00:00+00:00

Maclean avait sans doute raison, se dit Wesley alors que, sous le ciel noirci par son panache noir, le General Sedgwick s’ébrouait dans un tintamarre assourdissant. Les vrombissements des chaudières et les premiers mouvements de pales dans l’eau sale du Mississippi couvraient à peine les cris émerveillés des enfants, la cloche du bateau et les injures qu’échangeaient les hommes d’équipage avec les malheureux Noirs qui tardaient à libérer le bateau de ses derniers cordages. Cesse de te plaindre de ton pauvre sort, murmura-t-il. Replonge au cœur de tes meilleurs souvenirs : ta mère et ses fous rires dans le magasin de chaussures familial à Saint John, le premier moulin que tu as dessiné et construit de tes mains dans la grande prairie, tes chasses dans la neige avec Sam, ton ami sioux, ta découverte de la Black Oak Creek, la première nuit partagée avec Wincincala... Tu n’en vivras que mieux les dernières années qu’il te reste à passer sur cette terre...

Le General Sedgwick était plein à craquer. Adossé au bastingage de proue, Wesley parcourut des yeux cette fange de l’Amérique qui, à en croire Maclean, pullulait sur les vapeurs. Hormis quelques jeunes hommes portant les gilets fleuris des aigrefins, qui jouaient aux cartes sur le pont supérieur, il ne repéra aucun de ces escrocs, bonimenteurs et dandies que le vieux avait annoncés. Des familles d’immigrants se serraient autour des paquetages qui renfermaient leurs maigres possessions. Une escouade d’hommes des bois se défiait au bras de fer dans de grands éclats de rire. Des colporteurs assis sur leur malle au trésor lisaient le journal du jour ou fumaient leur pipe. Un prêcheur récitait à voix haute, les yeux dans le ciel, quelques versets de la Bible.

— L’Amérique en marche...

Wesley se tourna vers l’homme qui venait de prononcer ces mots. Il sursauta. C’était un Peau-Rouge aux cheveux courts, sanglé dans un élégant complet sombre.

— L’Amérique de demain, la Terre promise de tous ces hommes et femmes vaillants qui vont bâtir ce monde plus juste rêvé par Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et Abraham Lincoln, reprit-il en réajustant sa cravate lie-de-vin. L’Amérique en marche, vous dis-je... répéta cet Indien de six pieds de haut, au visage rond et au long nez camus.

L’homme se présenta sous le nom de Zabulon Acheson. Wesley lui fit répéter et ne put s’empêcher de lui demander quel était son nom indien et à quelle nation il appartenait.

— Je n’ai qu’un nom : Za-bu-lon A-che-son, répondit-il d’un ton agacé et j’appartiens à la même nation que vous ; la belle, la grande nation américaine.

— C’est... votre... bégaya Wesley

— Ma couleur de peau ? Et alors ? M’interdirait-elle de tenir ma place parmi vous autres au même titre que ces immigrants d’Europe centrale qui ne parlent pas notre langue et ne foulent le sol américain que depuis quelques jours ? Quand je croise des gens comme vous, je me demande si ce n’est pas en pure perte que le quartier-maître, là-bas, s’est fait arracher un bras pendant la guerre civile.

— Je... ne.

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