Dé-coïncidence by François Jullien

Dé-coïncidence by François Jullien

Auteur:François Jullien [Jullien, François]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2017-04-15T00:00:00+00:00


VI. Comment le négatif promeut l’existence

Le plus simple, il est vrai, serait de tenir le négatif à l’extérieur. Si quelque chose peut menacer ce moi que je suis, et même le détruire, le « nier », ce ne serait toujours que du dehors, puisque je suis intrinsèquement solidaire de moi-même, dans mon effort pour subsister en moi-même – sinon ce moi se contredirait. Ce négatif m’assaillant du dehors, c’est ce que j’appellerai alors, sans plus d’hésitation, le « mal » ; et tels sont d’abord la maladie, la mort, la souffrance, et tout ce qui met en péril ma survivance. Cette conception classique, cantonnant et contenant le négatif dans l’adversité, est encore, et même éminemment, celle de Spinoza. Juste avant d’en venir à sa conception centrale – que « chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être » (le conatus) – il introduit comme élément logique préalable que « nulle chose ne peut être détruite sinon par une cause extérieure » (Éthique, III, prop. IV). Or il l’introduit sans plus d’argument, comme une proposition « évidente par elle-même », alors que c’est là le point non assuré de sa pensée et par là sa limite, là où elle s’arrête, se cale sur ce qu’elle n’interroge plus, ne soupçonne plus ce qui pourrait lui échapper. Spinoza reste là dépendant d’une conception substantialiste du soi le bloquant dans sa compacité de « chose », le posant en bloc infissurable ne pouvant tant soit peu désadhérer de soi-même et décoïncider d’avec soi ; ne pouvant qu’affirmer son essence, telle que dans sa définition, et non pas la « nier ». Or, dès lors que le négatif est ainsi maintenu à l’extérieur du soi, on n’a plus qu’à le subir, telle est la leçon traditionnelle de la sagesse, la nature extérieure étant, comme on sait, tellement plus forte que soi (ibid. IV, prop. II – IV) ; mais on n’a plus à s’en embarrasser.

Or c’est sans doute une des grandes mutations de la modernité (qui fait qu’il y a effectivement « modernité ») que de ne plus pouvoir se contenter de ce partage : de cette commodité d’isoler le négatif au-dehors, sous la figure adverse du mal, pour préserver au-dedans la positivité, non inquiétée, d’un « soi » demeuré dans son adéquation et sa compacité d’« être ». Et c’est certainement le grand apport de Hegel que d’avoir tiré parti de la désolidarisation de soi d’avec soi, telle que prêchée dans l’Évangile de Jean (qui veut garder sa vie la perd), et d’en avoir inscrit la cohérence au sein même de la philosophie. Le négatif y devient cette « inégalité » interne, Ungleichheit, ou différence de soi avec soi, qui fait que le soi, se faisant soi-même « étranger à soi », au lieu de persévérer indéfiniment dans son être, en tant que soi solide, est porté de lui-même à se dépasser (ou de « substance » devient « sujet », Préface de la Phénoménologie, III). De là non



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