Correspondance indiscrète (Littérature Française) (French Edition) by Dominique Fernandez & Arthur Dreyfus

Correspondance indiscrète (Littérature Française) (French Edition) by Dominique Fernandez & Arthur Dreyfus

Auteur:Dominique Fernandez & Arthur Dreyfus [Fernandez, Dominique & Dreyfus, Arthur]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2016-02-16T23:00:00+00:00


Et le problème (de la vie, comme de ce poème) c’est qu’il existe malheureusement (heureusement) beaucoup de fenêtres, beaucoup de lumières singulières – et que rien (ou presque) ne remplace (ne reproduit) le miracle où pour la première fois l’on éteint la lumière.

J’ai apprécié ta phrase : « C’est parce que je n’ai jamais couché pour coucher que je rechigne à la littérature qui se borne au sexe, sans être auréolée d’autre chose que le sexe. » Elle est excellente, parce que sans en avoir l’air, elle met en lumière une grande vérité. De fait, certains procédés littéraires ne sont compréhensibles, ou valables, qu’à la condition de savoir les transposer hors de la littérature. Vidés de sens, ils deviennent formes ou structures. La littérature qui se borne au sexe peut m’intéresser, parce que le sexe pour le sexe m’intéresse. Tu m’intrigues néanmoins, en admettant que tu voudrais être « comme [moi], alerte, fringant, aux aguets, disponible pour le premier Sacha offert à [ta] convoitise… ». Sacré virement de bord, en forme de polar ! Après des pages et des pages de célébration d’une stabilité quasi prude, je ne m’y attendais pas ! Quel est ce désir de désir ? Comment ressent-on une envie opposée à la philosophie que l’on s’est choisie ? Souffres-tu de ne pas avoir davantage couché pour coucher ? Tu désignes à juste titre une dictature du bonheur et de la liberté : je veux te promettre que je n’y exerce aucun mandat. Il va sans dire que ce n’est pas son tableau de chasse qui me fait apprécier quelqu’un, quel que soit son âge, son sexe, sa sexualité, ou son parcours.

Merci, en tout cas, de me parler avec sincérité ; bien que cela t’oblige à m’embrasser comme si tu ne m’aimais pas. La formule est cocasse, mais est-elle vraie ? Je crois tout autrement que les gens qu’on connaît, qu’on aime, il est possible de leur confier des choses – et même toutes sortes de choses. Tu t’inquiètes du risque de les perdre : mais si nous ne les perdons pas à cette occasion, n’est-ce pas l’assurance, par effet antagonique, de voir se renforcer le lien qui nous unit à eux ? C’est la densité de l’autre à laquelle on tient le plus, non sa fine couche affable. Cette densité s’acquiert au prix de couleuvres difficiles à avaler, d’indiscrétions qui affligent. À ma connaissance, avec beaucoup de bienveillance, ou tout simplement avec de l’amour, ces obstacles ne sont pas indépassables. Il revient à chaque couple de définir son équilibre entre la lumière agressive de la vérité et le trou noir de la dissimulation – tout en sachant que la lueur suffit parfois à remplacer la lumière.

C’est sur cette lueur que je t’embrasse.

Arthur.



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