Condition de l'homme moderne by Arendt Hannah

Condition de l'homme moderne by Arendt Hannah

Auteur:Arendt, Hannah [Arendt, Hannah]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Philosophie
Éditeur: Calmann-Lévy
Publié: 1958-06-13T23:00:00+00:00


Le marché.

Marx – dans une de ces nombreuses remarques qui témoignent de son extraordinaire sens de l’Histoire – nota un jour que la définition de Benjamin Franklin : « L’homme est un fabricant d’outils », est aussi caractéristique du « yanquisme », c’est-à-dire de l’époque moderne, que l’était de l’antiquité la définition de l’homme comme animal politique 269 . La vérité de cette remarque tient au fait que les temps modernes ont été aussi anxieux d’exclure de leur domaine public l’homme politique, celui qui parle et agit, que l’antiquité d’exclure l’homo faber. Dans les deux cas, l’exclusion n’allait pas de soi, comme celle des travailleurs et des classes sans propriété jusqu’à leur émancipation au XIXe siècle. L’époque moderne s’est rendu compte, naturellement, que le domaine public n’est pas toujours, ne doit pas nécessairement être, une simple fonction de la « société », destinée à protéger au moyen de l’administration gouvernementale le côté productif, social de la nature humaine ; mais elle a regardé tout ce qui dépasse l’ordre de la police comme du « bavardage » et de la « vaine gloire ». La capacité humaine sur laquelle elle a fondé son affirmation de la productivité naturelle, innée de la société, c’est la productivité indiscutable de l’homo faber. Réciproquement, l’antiquité connaissait fort bien des types de collectivités dans lesquelles le citoyen de la polis, et la res publica en tant que telle, n’établissaient ni ne déterminaient le contenu du domaine public, et où la vie publique de l’homme du commun se bornait à « travailler pour le peuple », à être un dèmiourgos, un ouvrier du peuple par opposition à l’oiketès, travailleur domestique, autrement dit esclave 270 . La caractéristique de ces collectivités non politiques, c’était que leur place publique, leur agora, n’était pas un lieu de rencontre pour citoyens, mais une place du marché où les artisans venaient exposer et échanger leurs produits. De plus, en Grèce, tous les tyrans eurent l’ambition, toujours déçue, de décourager les citoyens de s’occuper des affaires publiques et de perdre leur temps dans l’agoreuein et le politeuesthai improductifs : ils auraient voulu transformer l’agora en un assemblage de boutiques comparable aux bazars du despotisme oriental. Ce qui caractérisait ces marchés, comme plus tard les quartiers d’artisanat et de commerce dans les villes médiévales, c’était que l’étalage des marchandises s’accompagnait d’un étalage de fabrication. La production en public est, en fait, un trait de la société de producteurs, de même que la consommation en public est typique d’une société de travailleurs.

À la différence de l’animal laborans dont la vie sociale est grégaire et sans-monde, et qui, par conséquent, est incapable de construire ou d’habiter un domaine public, du-monde, l’homo faber est parfaitement capable d’avoir un domaine public à lui, même s’il ne s’agit pas de domaine politique à proprement parler. Son domaine public, c’est le marché où il peut exposer les produits de ses mains et recevoir l’estime qui lui est due. Ce goût de la parade a probablement des racines aussi profondes que



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