Comment l'esprit vient aux objets (PUF, 17 février) by Tisseron Serge

Comment l'esprit vient aux objets (PUF, 17 février) by Tisseron Serge

Auteur:Tisseron, Serge
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Presses Universitaires de France
Publié: 2016-02-16T16:00:00+00:00


Mourir en image

On sait qu’un enfant confronté à des images de personnages montrés en train de mourir est très curieux de savoir s’ils meurent « pour de vrai » ou s’ils font seulement « semblant de mourir ». Traditionnellement, les parents répondent à cette question en établissant une barrière nette entre les images de fiction et les images d’actualité. Par exemple, si on reste à nos exemples précédents, le républicain espagnol photographié par Capa est dit « mourir pour de vrai », tandis que la Jeanne d’Arc de Dreyer est dite « souffrir pour de faux ». C’est ce raisonnement simpliste qu’il s’agit d’abandonner au profit d’une prise en compte de l’image en tant qu’objet de relation.

Face à un enfant qui pose de pareilles questions, voici à mon avis ce qu’un parent devrait répondre. « L’image du républicain espagnol photographié par Capa est une construction qui nous montre quelqu’un en train de mourir de telle façon que nous soyons amenés à croire qu’il meurt pour de vrai. Au contraire, l’image de la Jeanne d’Arc de Dreyer brûlée à la fin du film est une construction qui nous montre quelqu’un en train de mourir de telle façon que nous soyons amenés à croire qu’il meurt pour de faux. » Ce qui fait la distinction dans les deux cas, ce n’est pas l’intention de l’auteur ni même la réalité objective à laquelle personne ne peut avoir accès, mais le cadre de l’image.

Le cadre de l’image est ce qui nous guide dans le jugement de réalité que son réalisateur souhaite nous faire associer à ce que nous voyons. Il n’est pas question pour autant de nous priver des plaisirs et des ressources des diverses formes de reportages et de caméras directes, mais il s’agit de ne jamais créditer a priori aucune image du cadre à travers lequel on cherche à nous l’imposer. Il y a des images de fiction qui nous montrent un amour réel entre les acteurs et des images de fiction qui nous montrent des acteurs réellement torturés par leur réalisateur. Inversement, il existe des images d’actualité fabriquées et il en existera de plus en plus. Aucune image ne nous livre de transparence, quel que soit le cadre à travers lequel elle s’impose à nous, celui de la fiction ou celui du réel. Pour autant, aucune image n’est dénuée de rapport au réel, que le cadre à travers lequel elle se présente soit celui de la fiction ou celui de l’actualité. Ce à quoi le regard critique doit s’employer, c’est d’interroger, dans tous les cas, les conditions concrètes et pratiques qui ont mené de la réalité à sa mise en images.

Les images sont traditionnellement utilisées pour introduire les questions autour de ce qu’elles représentent. Des images de mort sont censées inviter à une réflexion sur la mort, des images d’amour à une réflexion sur l’amour et des images d’autorité à une réflexion sur l’autorité. Nous devons absolument nous dégager de cette attitude qui complique terriblement à la fois notre relation aux images et notre relation aux questions essentielles qui préoccupent tout humain.



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