Clinique du pouvoir by Eugène Enriquez

Clinique du pouvoir by Eugène Enriquez

Auteur:Eugène Enriquez [Enriquez, Eugène]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sciences humaines et sociales
Éditeur: Eres
Publié: 2007-11-14T23:00:00+00:00


La construction utopique : matrice du mythe du Bon pouvoir [1]

Il n’est pas possible de définir les éléments du mythe qui nous préoccupent, sans faire un détour par le genre utopique. En effet, les grands ouvrages utopiques comme ceux de More et de Campanella, produits de l’interrogation sur la valeur du christianisme comme référent ultime et comme étai de l’unité, qui apparaît à la Renaissance, à un moment de déstructuration et de restructuration sociale (même si la vigueur de la nostalgie du christianisme triomphant aura pour conséquence le renouveau de la vision chrétienne, sous une forme déguisée, dans les théories ayant pour but de résoudre la « question sociale »), peuvent être considérés comme la source-mère à laquelle sont allés puiser tous les réformateurs sociaux (ce n’est pas mépriser la « République » de platon que de dire que la description de la Cité idéale qu’il nous propose et sa conception de l’homme comme fondamentalement bon n’auraient pas eu un tel impact, si les idées avancées n’avaient pas été reprises et développées par ses « disciples » vivant dans un temps plus tumultueux). Aucun théoricien du progrès, du sens de l’histoire ou de l’avenir radieux n’a pu se déprendre totalement des thèmes utopiques, vraisemblablement parce qu’ils ont, comme le pensait Mannheim (1952) [2] , comme effets de transformer les individus, de les faire bouger et de fournir un horizon à l’action des groupes sociaux. Le discours utopique nous parle essentiellement d’un bonheur strictement réglementé et continuellement contrôlé fondé sur le travail librement accompli et harmonieusement réparti d’un groupe d’hommes anciennement opprimés réunis en un lieu clos (en dehors de tout endroit assignable) qui vivent suivant un principe égalitaire un temps strictement répétitif, excluant l’histoire et les conflits et qui forment ainsi une communauté totalement cohésive pratiquant en conséquence « la déflection de la pulsion de mort vers l’extérieur » (R. Kaës, 1980).

Un tel discours ne peut naître que dans un moment de crise où les contradictions sont si virulentes, la violence tellement débridée que l’horizon apparaît catastrophique. L’utopie apparaît comme une réponse à l’Apocalypse vécue. Les transformations sociales, les changements culturels apparaissent incompréhensibles et revêtus d’un caractère persécutoire. La misère s’étend, les ténèbres semblent envahir la vie, l’enfer être descendu sur terre [3] (n’oublions pas le véritable appétit qui se manifeste au Moyen ge pour les descriptions de fin du monde), les exclus sont légion.

On peut mieux comprendre que, lorsque le réel est aussi terrifiant et semble dépourvu d’un minimum d’espoir, lorsque les individus vivent dans leur corps et non seulement dans leur imagination (même si celle-ci est toujours partie prenante d’une représentation sans issue) les contrecoups de la désintégration sociale et de l’arbitraire qui se manifeste [4] , certains puissent se mettre à rêver d’une Cité heureuse, où l’histoire ne ferait plus peser sa loi d’airain, l’injustice serait bannie et les bons enfin récompensés. puisque l’âge d’or est derrière nous, « le paradis fermé et le chérubin disparu » (Kleist), il ne reste plus qu’à créer, sur terre, entre hommes, une société paradisiaque, annonçant le nouvel âge d’or pour tous ses membres et ce jusqu’à la fin des temps.



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