Claudine s'en va (journal d'annie) by Colette

Claudine s'en va (journal d'annie) by Colette

Auteur:Colette [Colette]
La langue: fra
Format: epub
Tags: - Divers
Publié: 2009-10-17T22:00:00+00:00


VI

Bayreuth.

La pluie, la pluie… Le ciel fond en pluie, et le ciel, ici, c'est du charbon. Si je m'appuie au rebord de la fenêtre, mes mains et mes coudes sont marqués de noir. La même poudre noire, impalpable, neige invisiblement sur ma robe de serge blanche, et si je caresse distraitement ma joue du plat de ma main, j'y écrase en traînées un charbon ténu et collant… sur le volant de ma jupe, des gouttes de pluie ont séché en petites lunes grises. Léonie brosse longuement mes vêtements et ceux de Marthe, d'un air allègre de gendarme sentimental. Ça lui rappelle son pays natal, Saint-Étienne, proclame-t-elle.

Vers l'ouest, le ciel jaunit. Peut-être la pluie va-t-elle cesser, et verrai-je Bayreuth autrement qu'à travers le trouble cristal de mes larmes.

Car, dès mon arrivée, je fondis en eau, comme les nuages. J'écrirai ici, avec un peu de honte, le puéril motif d'une telle crise de désolation.

À Schnabelweide, où nous quittions la ligne de Nurnberg-Carlsbad, le train, hâtif et distrait plus qu'il n'est accoutumé en Allemagne, emporta mon nécessaire de toilette et ma malle vers l'Autriche, de sorte que je me trouvai – après quinze heures de route et toute poissée de ce charbon allemand qui sent le soufre et l'iodoforme – sans une éponge, sans un mouchoir de rechange, sans un peigne, sans… tout ce dont je ne puis me passer. Ce coup me démoralisa, et tandis que Léon et Maugis couraient aux renseignements, je me mis à pleurer, debout sur le quai de la gare, à pleurer de grosses larmes qui faisaient de petites boules dans la poussière.

– Cette Annie, murmurait Claudine avec philosophie, comme elle a le tempérament marécageux.

Si bien que mon arrivée dans la « Ville Sainte » fut pitoyable et ridicule. Le snobisme de Marthe s'extasia en vain devant les cartes postales, les Graals en verre rouge, les chromos, les bois sculptés, les dessous de plats, les cruches à bière, le tout à l'image du dieu Wagner ; Claudine même, mal peignée, le canotier sur l'oreille, m'arracha à peine un sourire, quand, sur la place de la Gare, elle me brandit sous le nez une saucisse fumante qu'elle tenait à pleine main.

– J'ai acheté ça, cria-t-elle, c'est une espèce de facteur des postes qui les vend. Oui, Renaud, un facteur ! Il a des saucisses chaudes dans sa boîte en cuir bouilli, et il les pêche avec une fourche, comme des serpents. Vous n'avez pas besoin de faire la lippe, Marthe, c'est délicieux ! J'en enverrai à Mélie, je lui dirai que ça s'appelle un Wagnerwurst…

Elle s'en fut dansante tirant son doux mari vers une conditorei peinte en lilas, pour manger de la crème fouettée avec sa saucisse…

Grâce au zèle de Léon, éperonné par Marthe, grâce au polyglottisme de Maugis, qui parle autant de dialectes allemands qu'il y a de tribus dans Israël, et qui dompta, d'une phrase parfaitement inintelligible pour moi, l'apathie souriante des employés, je récupérai mes valises, à l'heure même où Claudine, émue de mon dénuement, m'envoyait



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.